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Le tribunal politique wallon est insuffisant

Plus que des noms, le premier objet d’attention doit être l’adéquation du processus de contrôle et de décision.

Clouer le président du parlement Wallon, son bureau politique et son greffier, comme le suggèrent certains, est spectaculaire mais si peu fondamental. Cela ne nous aidera que peu à mieux réfléchir à la nature du problème et ses causes profondes. En fait cela peut même créer l’illusion au terme de quelques démissions spectaculaires de personnes (même peu sympathiques) que l’on a résolu le problème. Plus que des noms, notre premier objet d’attention doit être l’adéquation de notre processus de contrôle et de décision. Ce sont les mécanismes structurels à l’œuvre qu’il faut examiner et corriger. C’est bien évidemment moins spectaculaire et expéditif que de sacrifier quelques personnes à la colère du peuple, mais bien plus fondamental. Etudier ces affaires et scandales permet d’apprendre des choses intéressantes pour ceux qui prennent le temps d’écouter les auditions et de lire les rapports, et c’est bien en rentrant dans ce niveau de détail que l’on peut profiter de ces travaux. Mais la partie « tribunal politique » n’est que la partie visible de l’iceberg, sauf à supposer que l’ensemble de la classe politique va apprendre de ses erreurs et devenir plus responsable par la suite. Ce n’est absolument pas garanti comme la répétition de ces affaires nous le démontre.

Le président du PS, Paul Magnette semble pourtant encore croire à cette solution. « Ce n’est pas parce que les règles ont été respectées que ça suffit. On voit bien aujourd’hui, que ce soit pour les travaux du parlement, que ce soit la gestion du personnel, que ce soit les dépenses diverses et variées, les règles ne sont plus adaptées. Il y a clairement une responsabilité du greffier. Elle a été établie ; il a été écarté ; c’est dans les mains de la justice. Mais il y a aussi une responsabilité collective et notamment le bureau du parlement aurait dû contrôler le greffier. Donc, il y a aussi un défaut de contrôle » (Le Soir du 9 décembre 2022).

Paul Magnette poursuit plus loin : « Collectivement, une démission du bureau les honorerait et remplacer ce bureau par un nouveau bureau ouvert à l’opposition – c’est aussi ça la démocratie – pourrait rétablir la confiance au Parlement wallon. C’est l’image de la Wallonie dans son ensemble, et du personnel politique dans son ensemble qui est abîmée. Il faut maintenant remettre de la rigueur, des règles et de la transparence »

Remettre de la rigueur, des règles et de la transparence

Cette argumentation de Paul Magnette est intéressante car au-delà de la sanction immédiate des responsables, elle suggère un travail plus en profondeur pour éviter que cela ne se reproduise. L’enjeu est de remettre de la rigueur, des règles et de la transparence. Si on y réfléchit c’est franchement interpellant car cela est un aveu clair d’un déficit de rigueur, de règles et de transparence. C’est étonnant car comme l’indiquait déjà clairement l’accord de Gouvernement wallon de 2014, la bonne gestion publique sera au cœur de l’action du Gouvernement (chapitre 26 de l’accord 2014-2019 du gouvernement wallon).

Dans un article daté de 2015, j’ai proposé une analyse systématique de ce problème de la responsabilité publique (aussi crucial que la responsabilité sociale des entreprises). C’est un travail que j’avais déjà démarré en 2007 avec un collègue sociologue de l’ULB le professeur Alain Eraly (1). Le constat de départ est le suivant : il est possible de gaspiller l’argent public de manière parfaitement légal ce qui limite la capacité de sanctions. Les enquêtes et les audits révèlent, de façon quasi-systématique, des déficiences qui, si elles ne sont pas formellement punissables, indiquent en tout cas de graves lacunes en matière de gestion : conflits de loyauté, confusion d’intérêts, organisation déficiente, absence de contrôle de gestion, recrutements arbitraires, compétences inadaptées, comptabilité déficiente, manque de productivité, absence d’évaluation, déficit de communication, informatique obsolète ou inexistante, etc. Ces lacunes ne s’observent pas seulement dans les institutions touchées par les scandales : à longueur d’analyses et d’audits, on mentionne leur présence, à des degrés divers.

La responsabilité publique, une notion fondamentale

Sauf à se réduire à une simple incantation, ou des démissions pour sauver l’honneur, comme le suggère Paul Magnette, cette notion de responsabilité publique est fondamentale. De quoi s’agit-il en définitive ? Simplement le fait d’assumer leurs actes et les conséquences de leurs actes. Cette responsabilité publique suppose la mise en place rigoureuse d’une série de conditions indispensables. Ces conditions sont les suivantes :

1. La clarification des missions et des objectifs (quel est l’objectif d’un voyage d’affaires au-delà de « contribuer au rayonnement de la Wallonie dans le monde » ?).

2. L’adaptation des structures d’organisation (le bureau politique du Parlement est-il adapté à ses fonctions ?).

3. La définition des domaines de délégation (qui décide et qui est responsable en définitive ?).

4. Le développement des compétences nécessaires à la réalisation des objectifs (ignorance stupéfiante et la profonde inculture scientifique des politiques et de leurs conseillers sur certains dossiers).

5. Une pratique effective d’évaluation et de reddition des comptes (existe-t-il un rapport d’activité à la suite de ces voyages d’affaires ?)

6. L’existence d’indicateurs de performance objectifs – non simplement des indicateurs de résultats, mais aussi des indicateurs d’efficience qui prennent en compte les coûts consentis pour atteindre ces résultats (quel a été l’impact du voyage d’affaires, si ce n’est son impact médiatique ?).

7. L’existence de sanctions positives et négatives.

Rétablir la confiance

Enlever une seule de ces conditions de la responsabilité et l’ensemble s’effondre. Nulle responsabilité sans l’existence de missions à accomplir ou d’objectifs à réaliser, sans une clarification de l’organigramme, des niveaux de pouvoir, des liens hiérarchiques et fonctionnels. Nulle responsabilité sans un pouvoir délégué, sans une autonomie collective et individuelle, ni sans les compétences nécessaires à l’accomplissement des fonctions prescrites. Nulle responsabilité, enfin, pour qui n’est tenu de rendre des comptes à personne, ne fait l’objet d’aucun contrôle objectif et n’encourt aucune sanction (l’actualité nous en donne un exemple criant). On le comprend, la question de la responsabilité se pose donc à tous les niveaux de pouvoir.

Les balises sont ainsi clairement fixées, il est impératif et urgent de s’atteler à ce travail pour rétablir la confiance dans nos institutions démocratiques, après avoir mis de l’ordre dans les écuries.

(1) Alain Eraly et Jean Hindriks (2007), « Le principe de la responsabilité dans la gestion publique », Reflets et perspectives de la vie économique, 193-208.

Foto: Rutger van der Maar