Climat, industrie, sécurité: le temps du réalisme est venu
Entre protectionnisme vert, subventions et tentation de renoncer en partie au Green Deal, l’Europe hésite. Dans les faits, elle fait un peu de tout... et pas assez de ce qu'il faudrait. Résultat: un patchwork de mesures nationales qui fragilise le marché unique.
"Améliorer la compétitivité de l'Union, renforcer sa résilience et promouvoir la transition écologique sont des objectifs qui se renforcent mutuellement." C'est ce qu'ont déclaré les dirigeants politiques européens après le sommet européen à Bruxelles de fin octobre.
Mais la croyance en une trinité sacrée composée de l'écologie, de l'économie et de la sécurité souffre d'un problème de timing. La planification verte de Bruxelles est éclipsée par la planification industrielle de Pékin et la domination énergétique de Washington. Les industries à forte intensité énergétique en Europe souffrent d'une crise énergétique russe, du dumping chinois et des droits de douane américains, qui viennent s'ajouter au coût du Green Deal européen.
Il faut changer quelque chose
Si elle ne parvient pas à retrouver sa compétitivité, l'Europe se verra contrainte de se tourner vers l'écologie en perdant les industries sur lesquelles elle compte pour assurer sa résilience économique et technologique dans le nouvel ordre géopolitique. Pour transformer cette dynamique autodestructrice en une dynamique auto-renforçante souhaitée par les dirigeants politiques européens, il faut que quelque chose change.
La première option consiste à mettre en place un protectionnisme vert qui protège les entreprises européennes de la concurrence pendant qu'elles s'efforcent d'atteindre la neutralité carbone. La deuxième option est de soutenir massivement les industries par des subventions et d'autres avantages. La troisième est d'abandonner le Green Deal. Curieusement, l'Europe fait tout cela à la fois et... rien de tout cela.
L'Europe n'a pas le pouvoir d'exporter ses normes
L'Union européenne souhaite protéger son marché et imposer ses normes à d'autres pays. L'Europe prépare également une taxe carbone aux frontières et dispose des instruments nécessaires pour lutter contre le dumping déloyal et les pratiques tarifaires abusives. Cependant, la réalité géopolitique et ses propres faiblesses politiques et économiques font que l'Europe n'a pas le pouvoir nécessaire pour exporter ses normes. La pression exercée par les États-Unis, la Chine et d'autres partenaires commerciaux se révèle plus efficace.
Et puis il y a les subventions. Le Green Deal a toujours été un plan de mesures incitatives s'ajoutant aux autres règles. Sous la bannière du Clean Industrial Deal, il est désormais également synonyme d'aides d'État. Mais ce sont surtout des aides d'État nationales qui vont à l'encontre du libre marché sur lequel repose l'UE, et non un plan commun de Bruxelles.
L'Union européenne s'est enfermée dans une impasse
Quant à abolir le Green Deal, cela reviendrait à briser un dogme politique européen. Mais son érosion progressive semble inévitable, comme en témoignent les discussions sur les objectifs de réduction des émissions, l'avenir du moteur à combustion et le prochain cycle de prix et d'échange des émissions. Au lieu d'un terrain de jeu transparent et équitable offrant une sécurité juridique, c'est à nouveau une mosaïque de traitements préférentiels qui nous attend.
En réalité, l'Union européenne s'est elle-même enfermée dans une impasse dont elle ne pourra sortir qu'en acceptant la réalité. La vérité désagréable en 2025 est que l'Europe est la seule grande économie à viser la neutralité carbone, que 2050 n'apportera pas la neutralité carbone, que la transition énergétique a entraîné une augmentation de la consommation d'énergie via l'IA et d'autres marchés en croissance, et que la trajectoire des émissions de l'Europe aura une incidence marginale sur le réchauffement climatique.
Le moment de faire preuve de réalisme
Si la philosophie initiale du Green Deal veut survivre en tant que nouvelle stratégie de croissance, l'Europe doit développer des industries et des technologies capables de soutenir sa prospérité tout en favorisant la meilleure réduction possible des émissions à l'échelle mondiale.
À défaut, une neutralité carbone forcée se traduira par une croissance moindre en Europe et une durabilité moindre à l'échelle mondiale, car les industries non européennes plus polluantes en sortiront gagnantes. Peut-être le moment est-il venu de faire preuve de réalisme. Les nouveaux plans de l'UE pour le réarmement et la défense en Europe ne contiennent aucun objectif climatique officiel. L'Europe semble opter pour une véritable renaissance industrielle et technologique. Appelons cela le réalisme climatique tacite, à l'européenne.