Vers l'aperçu

Une politique en costume trois-pièces

À observer notre politique actuelle, on peut lui trouver un côté strass et paillettes , spectacle de bon ou mauvais goût. Mais à y regarder de plus près, on peut aussi la juger un tantinet débraillée . Et se prendre à rêver d'autre chose, d'une politique en costume trois-pièces, ce complet sérieux.

Il nous faudrait une politique complète , qui agisse tout à la fois sur le présent et les conditions de l'avenir, le matériel et le sens. Et, puisque nous sommes en démocratie, elle devrait rester fidèle à ses origines de Lumières: être libérale, égalitaire et fraternelle

Complet comme un système

Libérale, parce que la liberté est la condition de l'entreprise , du fait d'entreprendre dans quelque domaine que ce soit; la civilisation s'est développée grâce aux entreprenants et pas seulement aux joyeux drilles satisfaits du goût du mammouth. Égalitaire, parce que c'est sur la reconnaissance de notre égalité fondamentale, anthropologique, que repose l'égalité en droit , fondement de notre régime. Fraternelle, parce que nous avons besoin d'une approche sensible comme garde-fou à nos tentations d'emballements libéraux et égalitaires . Cette fraternité, au-delà de nos familles, communauté, pays ou espèce, est fraternité avec l'ensemble du vivant : celle de St-François, pas seulement celle des damnés de la terre.

La trilogie s'impose plus que jamais. Ce n'est pas par hasard si les entreprises s'intéressent toujours davantage à la comptabilité en triple capital . L'évidence d'une imbrication des enjeux économiques, écologiques et sociaux n'est plus guère contestée. Sinon, implicitement, par nos politiques. Ah bon? Mais n'avons-nous pas des gouvernements bleu-rouge-vert? Non, nous avons des exécutifs bleu/rouge/vert

Notre politique actuelle n'est pas correctement articulée, complète, systémique. Si c'était un costume trois-pièces, il serait composé d'un short bleu étroit aux cuisses, d'une vieille redingote rouge trouée par les mites et d'un marcel vert tout taché.

Chaque parti défend son approche et son territoire , au lieu de s'engager dans la construction d'une politique globale et cohérente. Par exemple, l'accord de gouvernement fédéral affirme l'"ambition (…) de parvenir (…) à la neutralité climatique pour 2050". Alors, d'un côté, on augmente l'indemnité vélo en la passant de 0,25 à 0,27€ par kilomètre parcouru , et de l'autre, chaque année, l'État débourse 12 milliards d'euros pour les

Notre politique actuelle n'est pas correctement articulée, complète, systémique. Si c'était un costume trois-pièces, il serait composé d'un short bleu étroit aux cuisses, d'une vieille redingote rouge trouée par les mites et d'un marcel vert tout taché.

Le sérieux du séance tenante

Cela n'est pas sérieux. Or, il est temps de l'être. C'est un impératif pratique, comme moult études et appels permettent de comprendre. Mais c'est aussi un impératif moral , au sens où l'entend Vladimir Jankélévitch.

Philosophe né en 1903, juif, Jankélévitch est entré en clandestinité dès son interdiction d'enseigner en 1940. «Être juif, ce fut la résistance obligatoire. (…) Il y eut là, poussé au degré extrême de la tension, un élément de sérieux» (L'Esprit de résistance, 2015). Être sommé d'agir par les événements, agir «séance tenante», sans différer, sans calculer, voilà le sérieux.

Pour être sérieusement à la hauteur de la situation actuelle et de sa complexité, la méthode politique doit évoluer.

Malgré les "nous n'avons pas le choix" qu'affectionnent bien des mandataires, la vertueuse soumission à l'exigence de sérieux est en réalité souvent absente des échanges et actions actuels. Par exemple, Monsieur Magnette a refusé de participer au dernier débat médiatique des présidents de parti en invoquant sa nécessaire parité. Or, puisque les présidences sont trustées par des mâles, c'est impossible. Donc soit Monsieur Magnette croit ce qu'il dit, et alors il se peut qu'il ait déjà produit une pensée plus aboutie, soit il n'en croit pas un mot, et dès lors, nous pourrions nous sentir un peu moqués . Sérieux, disions-nous…

Changer de méthode

Pour être sérieusement à la hauteur de la situation actuelle et de sa complexité, la méthode politique doit évoluer

Il existe déjà bien des moyens: des accords pré-électoraux annoncés publiquement pour limiter la guéguerre aiguë, la présence des présidents de parti dans les gouvernements pour rompre avec la schizophrénie de la "participopposition", pléthore de propositions d'organes officiels ou centres de recherche universitaires prêtes à être exploitées…

Mais des mesures ponctuelles seront inopérantes sans un changement d'esprit et de dynamique . Or, ce changement ne va pas de soi. Il est nécessaire, et bien des élus en sont convaincus, mais s'il était facile, il serait déjà fait. Dès lors, il nous revient, à nous les acteurs institutionnels ou associatifs, chercheurs, journalistes, citoyens-électeurs, d' affirmer l'importance et l'urgence de cette évolution . La campagne électorale qui commence en est une parfaite occasion.

Certes, dire vouloir urgemment un changement de méthode politique dans une perspective systémique n'est peut-être pas très sexy, ni électoralement porteur. Alors, faisons plus simple: il nous faut une politique en costume trois-pièces!