Vers l'aperçu

Un État efficient, entre monstre froid et pouvoir rabougri

La gestion des inondations de juillet a été remise en cause par l'Europe. La Flandre ne réussit pas à faire face aux défis des émissions de l'azote. Le comité de concertation, la plus haute instance de décision de notre pays, est désavoué. Comment encore comprendre l'art de gouverner en Belgique?

Les commentaires pointent généralement du doigt, de manière quelque peu fataliste, les tensions institutionnelles qui empêchent toute bonne volonté : la particratie dominant la "vraie" démocratie, les défis à plus long terme noyant dans le bruit et la myopie électorale. En revanche, l'État chez le penseur Michel Foucault est une chimère dont nous ne devons pas avoir peur. Dans ses fameux cours au Collège de France, il nous fournit une troisième voie à sortir de la "survalorisation du problème de l'État", entre le "lyrisme du monstre froid en face de nous" et la réduction de l'État à un nombre limité de fonctions dites essentielles.

Nous devons nous demander: comment le pouvoir s'exerce-t-il concrètement?

Foucault propose que l'on place au centre de l'analyse non les structures du pouvoir, fondées sur des mythes idéologiques du droit divin ou la souveraineté populaire, mais les relations de pouvoir, avec leurs modes de pensée, leurs procédures et pratiques. Au lieu de déduire tous ses rouages de ce que serait l'essence de l'État en tant que cause finale, l'État n'est rien d'autre que des pratiques et dispositifs, normes et incitations qui cherchent à mener la conduite des autres. Au lieu de la question abstraite "qu'est-ce que le pouvoir", nous devons plutôt nous demander: comment le pouvoir s'exerce-t-il concrètement? L'État est partout.

Derrière les structures, des bureaux de parti jusqu'aux organisations socio-économiques et organes consultatifs qui aident à mettre en œuvre la politique, se cachent les intérêts particuliers qui dirigent et en même temps constituent l'intérêt commun.

Foucault avait un ou deux mots à dire sur la quarantaine comme instrument de "biopouvoir".

Ces relations de pouvoir sont assurées, on dirait défendues, par un amalgame de techniques et d'instruments, y compris les institutions politiques telles que nous les connaissons aussi bien que des dispositifs s'étendant à l'ensemble de la société – Foucault lui-même avait un ou deux mots à dire sur la quarantaine comme instrument de "biopouvoir". L'État n'est plus le Prince ni le Peuple, il est partout.

D'autre part, toutes ces émanations étatiques sont impliquées dans des enjeux stratégiques qui constamment remettent en cause ces relations. Les tactiques ne se limitent pas aux jeux politiques de parti, le terrain privilégié des médias ou des réseaux sociaux. Le mot "jeu" chez Foucault ne suggère guère la tricherie ou le bluff, mais veut dire un ensemble de règles et procédures pour la "production de la vérité". La "gouvernementalisation" conduit, par exemple, à de multiples rôles pas toujours bien séparés: législateur et juge, actionnaire et régulateur, subventionneur et acheteur… Où vont les milliards de la relance?

Si l'on veut que la Belgique fonctionne mieux – la mission d'Itinera en clair – il nous faut des outils beaucoup plus précis pour évaluer la performance de la démocratie. L'État n'est ni omniscient ni omnipotent, il est omniprésent. Pour ne donner qu'un exemple, où exactement seront versés les milliards du Plan National pour la Reprise et la Résilience, de Vlaamse Veerkracht, Get Up Wallonia, Go4Brussels 2030 ou le Regionales Entwicklungskonzept?

Le jeu est ouvert

Depuis 1776, entre Jeremy Bentham et la déclaration d'indépendance des États-Unis, l'État moderne cherche non seulement à rendre la population plus productive, mais en plus heureuse. Le bonheur est devenu une question politique. Comment s'y prendre? En prenant soin de toute la communauté ou en favorisant le souci de soi des individus ? On se souvient à cet égard de la réprimande du ministre-président wallon à l'encontre du gouverneur de la Banque Nationale pour sa remarque pointant un niveau probable de "70% de dépenses publiques en Wallonie pour 2021-2022" et, donc "une assise économique trop faible". L'approche foucaldienne nous suggère une solution. Le jeu est ouvert

L'analyse du pouvoir à partir des institutions ne considère le sujet que comme sujet de droit – et de droits acquis. Les relations de pouvoir par contre, beaucoup plus que les structures politiques, impliquent que les partenaires soient libres dans une certaine mesure d'ajuster à tâtons leurs capacités de négociation et d'adapter la relation. Les jeux ne sont pas faits. Ici de nouveau, les réponses seront spécifiques, en fonction du type de domination, des instruments employés, des règles du jeu.

L'initiative et le développement naissent de la possibilité de reconstituer les relations de pouvoir de nous tous, en liberté et en responsabilité. C'est cette possibilité de reconstituer les relations de pouvoir à partir de la liberté – et la responsabilité – de nous tous qui engendre l'initiative et le développement. En particulier, maintenant que le souverain est descendu de son trône parmi ses sujets, il peut aussi bien participer comme artiste à distance. Plutôt que de se "libérer" de ces relations de pouvoir, on devrait s'emparer de l'espace libre afin de développer des stratégies innovantes et de nouvelles alliances. Pour citer une dernière fois Michel Foucault: "Plus le jeu est ouvert, plus il est attirant et fascinant."