Vers l'aperçu

Le défi des soins de santé

Durant cette législature, nous avons assisté régulièrement à la relance d’un débat plutôt tiède sur la politique des pensions. En parallèle, la gestion des soins de santé, elle, a moins fait les gros titres des journaux. Et pourtant, en de nombreux points, elle représente un défi bien plus complexe pour l’avenir. D’ici 2060, le Bureau fédéral du Plan prévoit une augmentation des dépenses du gouvernement pour les soins médicaux. Celles-ci passeraient de 8 à 10 pour cent du PIB. Tout le monde sait cependant que ce chiffre pourrait bien être largement sous-estimé. Depuis les années 70, les dépenses de ce secteur ont augmenté presque deux fois plus vite que le PIB.

Soulignons qu’une hausse des dépenses n’entraîne pas automatiquement une meilleure santé. Cette dernière est largement tributaire de choix personnels (l’individu suit-il un régime sain, fume-t-il, pratique-t-il un sport), de caractéristiques héréditaires, de l’environnement (pollution) et de la situation personnelle (actif ou non-actif) et n’est donc pas seulement déterminée par la politique menée en matière de santé.

La politique de la santé ne doit dès lors pas seulement s’intéresser au côté purement médical des choses, mais doitégalement se pencher sur les autresfacteurs susmentionnés. Ceci nous permet déjà de dénoncer une des lacunes en Belgique, à savoir le manque de coordination entre lapolitique de prévention et le traitement médical. Cette situation est notamment imputable au fait que ces politiques ne dépendent pas du même niveau de pouvoir, l’une est gérée par le fédéral, l’autre par les régions.

Attentes

Il va de soi que les dépenses de santé sont largement liées à l’âge des individus. Il serait toutefois erroné d’en conclure que le vieillissement de la population représente le plus grand facteur de coût pour les dépenses en soins sanitaires. Il tournerait en effet aux alentours de 0,7% par an, alors que l’augmentation moyenne des dépenses est sensiblement plus élevée.

De plus, l’allongement de l’espérance de vie semble devoir s’accompagner d’une hausse du nombre d’années vécues en bonne santé. C’est la période qui précède le décès qui est déterminante pour les coûts desanté et celle-ci semble plutôt stable. Dans de nombreuses simulations, l’importance relative des conséquences du vieillissement est plutôt surestimée.

Une corrélation élevée existe entre le PIB par habitant et les dépensesde santé. La hausse du niveau de vie a fait apparaître un nouveau modèle pathologique avec, par exemple, une multiplication des maladies cardio-vasculaires. Une autre origine de la hausses des dépenses réside dans l’élargissement du concept de maladie. A l’heure actuelle, on se rend en effet plus rapidement chez le médecin (ou plutôt le spécialiste) pour des maux de moindre importance. Ceci s’explique par l’évolution socio-culturelle et psychologique de la notion de santé et par des attentes grandissantes vis-à-vis de l’acte médical, de la part tant des patients que de la profession médicale. On observe une médicalisation poussée de la société, chaque patient s’attendant à ce qu’il bénéficie du traitement le plus performant et le plus cher. Nombre de médecins redoutentainsi qu’un patient sortant de leur cabinet sans médicament se rende chez un confrère, d’autant plus que le choix ne manque pas.

Technologie

Même si la technologie peut entraîner quelques réductions de coûts grâce à des traitements plus efficaces et à une hausse de la productivitéde la main-d’oeuvre, son influence nette va plutôt dans lesens d’une augmentation descoûts. En effet, ce que l’on appelle la half-way technology traite certes les symptômes, mais accroît le coût thérapeutique parce qu’elle ne conduit pas à une guérison totale ou à une prévention. De plus, l’élargissement de la pose de diagnostic -multiplication du nombre de personnes entrant en considération pour un traitement à la suite du développement technologique -peut également entraîner une hausse des coûts. Enfin, les possibilités de diagnostic augmentent plus rapidement que les possibilités thérapeutiques, de sorte que le nombre de prestations par maladie croît.

Remèdes traditionnels

On s’efforce traditionnellement de maîtriser les coûts par des restrictions budgétaires globales, quidoivent toutefois être complétées par des réformes microéco-nomiques. En cas de dépassement du budget, on a bien souvent recours à des économies de coûts linéaires dans une catégorie bien déterminée. Ces économies conduisent cependant à des glissements (spillovers) vers d’autres traitements ou à une augmentation du volume. On a réagi à ceci par une planification toujours plus poussée, afin de maintenir l’offre sous contrôle via une restriction du nombre de lits, de l’équipement lourd, des laboratoires...

La plupart de ces mesures font l’objet de discussions depuis plus de vingt ans, ce qui montre bien qu’il n’est guère aisé de procéder à des réformes dans le secteur de la santé. Les mesures les plus flagrantes sont la responsabilisation, l’échelonnement et la forfaitisation. La responsabilisation implique notamment qu’en matière de soins médicaux, les mutuelles endossent la responsabilité financière de l’exécution des remboursements.

En second lieu, on plaide depuis des années pour l’échelonnement, c’est-à-dire des soins de santé par paliers. Des études ont démontré que dans les pays où le médecin de famille sert de “garde-barrière”, les coûts de santé sont mieux maîtrisés. Troisièmement, le principe de la forfaitisation est de plus en plus utilisé : des enveloppes sont calculées sur la base des besoins réels au lieu des dépenses historiques. L’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques préconise,entre autres, que ceci soit également appliqué à la rémunération des médecins, en pratiquant une rémunération par patient (système dit de capitation) plutôt que par prestation.

Dans la pratique, il convient dès lors d’opter pour un système mixte combinant le concept de capitation et quelques éléments de rémunération par prestation. Pour les hôpitaux, on a également introduit des systèmes deforfaitisation (partielle), mais il reste de la marge pour étendre le système.

Un aspect majeur de la politique réside dans les accords de collaboration et les fusions entre hôpitaux. Dans ce cadre, le manque de recours à la prévention est une importante pierre d’achoppement. Ceci est notamment dû aux mécanismes de financement de nos soins de santé.

Il y a le fait que la nomenclature rétribue surtout la quantité des prestations techniques et non la qualité des soins. Actuellement, les honoraires pour prestations intellectuelles ne représentent pas lequart des honoraires des médecins. De même, un encadrement décourageant les catégories de risque de fumer et encourageant à suivre un régime plus sain est plus efficace en termes de coûts que des operations chirurgicales du coeur. Or, dans le système de santé traditionnel, les interventions chirurgicales sont beaucoup plus attrayantes financièrement (sur la base de la rémunération par prestation). Les incitants financiers, en réalité, ne visent pas sciemment à fausser le système des soins de santé en faveur des traitements intensifs.Ceci est l’aboutissement d’une évolution historique.

Vers un modèle de la troisième génération

Des économies linéaires ne sont de toute évidence pas souhaitables: des soins indispensables seraient aussi pénalisés. Le rationnement peut, dans une certaine mesure, maintenir les coûts sous contrôle, mais il faudrait en réalité être plus ambitieux en cherchant à supprimer les gaspillages tout en continuant à investir dans les soins indispensables. Il y a vingt ans, on s’est rendu compte que le système du tiers payant favorisait la surconsommation et on a proposé de le remplacer par des systèmes de budgets, de forfaitisation, de financement des pathologies, etc. Cette prise de conscience de l’importance d’une structure d’incitants financiers a conduit à des économies de coûts.

Actuellement, on réalise qu’il convient de stimuler les traitements médicaux efficaces et de freiner les traitements moins productifs. A cette fin, il ne faudra plus axer les incitants sur l’input (nombre de prestations...), mais davantage sur l’output : quelle est l’amélioration de santé obtenue? Il faudra ainsi penser à des systèmes octroyant un bonus aux assureurs affichant une qualité supérieure à la moyenne.Ceci incitera ces derniers à veiller non seulement aux coûts, maisaussi à la qualité. Les patients seront ainsi plutôt envoyés vers des hôpitaux pratiquant de nombreuses opérations du coeur, les docteurs affichant de bons résultats qualitatifs recevront une rétribution plus élevée des assureurs et les assureurs mettront des moyens informatiques à disposition des pratiques médicales. Un tel système ne rejettera pas les nouvelles technologies et les stimuler alors qu’elles favorisent clairement une amélioration de la santé à un coût raisonnable. La technologie de l’information a ici un rôle important à jouer, afin de permettre la mesure de la qualité.

Il y a ainsi un suivi des directives cliniques dans le processus thérapeutique : le nombre de diabétiques dont le taux de sucre est testé à des intervalles recommandés, le nombre d’enfants vaccinés, le nombre de mammographies par pratique... L’efficience des coûts peut et doit aller de pair avec une reorientation du système de la santé vers un régime privilégiant l’amélioration de la santé et non les prestations à fournir.