Vers l'aperçu

Le coût de la non-réforme des pensions

La Belgique comptera un million de pensionnés supplémentaires en 2050. Plus on tarde à faire une réforme, plus le coût pour les jeunes générations augmente.

Comme d’autres pays, la Belgique est confrontée à un défi démographique majeur pour son système de pension légale. Son financement repose sur un équilibre entre cotisants et pensionnés (les actifs financent les pensions des retraités). Le problème est que la Belgique devrait compter 250.000 pensionnés supplémentaires en 2027 et presque 1 million supplémentaire en 2050 pour une population en âge de travailler (18-66 ans) constante. Pour remédier à ce vieillissement, la Belgique vise à mettre plus de personnes au travail. Cela se matérialise dans les projections du coût du vieillissement qui reposent sur une hausse graduelle des taux d’emploi des femmes et des seniors. En particulier entre 2020 et le 2050, le taux d’emploi entre 60 et 65 ans passerait progressivement de 40 % à 66 %. Cette croissance de l’emploi reste néanmoins insuffisante pour absorber pleinement la hausse du nombre de pensionnés. Le taux de dépendance économique, qui représente le nombre de pensionnés par emploi, augmenterait de 34 % entre 2020 et 2050.

Sortir du déni

Face à cette situation, notre gouvernement a trouvé un accord pour une réforme des pensions qui consiste à… augmenter les pensions (via le bonus pension, le relèvement des pensions des indépendants et de la pension minimum). Il semble évident qu’une véritable réforme des pensions se devra de maîtriser la croissance des dépenses de pension qui depuis une décennie augmentent deux fois plus vite que les cotisations ou le revenu national. Une forme plus subtile de déni consiste à financer ce vieillissement par l’endettement (comme on le fait pour l’instant), ce qui revient à transférer la facture à nos enfants.

Gradualisme et droits acquis

Une réforme est possible si elle est graduelle et si elle préserve les « droits acquis » (ou droits du passé). Les différentes options sont les suivantes : augmenter les cotisations, augmenter l’âge de la retraite/durée des carrières ou diminuer la pension moyenne. Les Belges sont déjà lourdement taxés et augmenter les cotisations est difficilement envisageable si l’on souhaite atteindre le taux d’emploi de 80 %. De même, augmenter l’âge de la pension/durée de carrière est assez difficile à réaliser et cela exige une réforme en profondeur de notre marché du travail et des fins de carrières. Il reste la possibilité pour faire face au nombre croissant de pensionnés de baisser graduellement les taux de remplacement (sans baisse nominale des pensions).

Deux alternatives pour une réforme progressive

Deux alternatives sont possibles si l’on souhaite ajuster les droits futurs de pension : diminuer le taux d’acquisition ou diminuer le taux d’indexation. Le taux d’acquisition détermine le montant qu’une année de travail rapporte pour la pension. Par exemple, si le taux de remplacement est de 60 % pour une carrière de 45 années, chaque année travaillée augmente la pension à concurrence de 1/45e de 60 % soit 1,33 % du salaire brut. Baisser le taux d’acquisition est équivalent à devoir travailler plus longtemps pour atteindre un même taux de remplacement. Le taux d’indexation est, quant à lui, le taux auquel le montant de la pension est indexé. Dans cette perspective, la réforme des pensions ne remettrait pas en cause les droits passés ; mais elle impliquerait un ajustement graduel des droits futurs en fonction de la hausse du nombre de pensionnés via un ajustement du taux d’acquisition et/ou du taux d’indexation.

Cependant, le choix entre acquisition ou indexation est loin d’être neutre. En effet, diminuer le taux d’acquisition ne concerne pas ceux qui sont déjà pensionnés au moment de la réforme (droits acquis). En outre, la baisse du taux d’acquisition ne concerne que la carrière restante, ce qui signifie que les travailleurs en début de carrière seront plus affectés que les travailleurs en fin de carrière. A l’inverse, ajuster le taux d’indexation répartit le coût plus largement entre les actifs et les pensionnés, ce qui a pour effet de baisser le coût par personne. Dans la mesure où nous comptons aujourd’hui deux actifs pour un pensionné, cela permet de diminuer d’un tiers le coût pour les actifs.

Le clash des générations est évitable

Les plus jeunes préfèrent une réforme de l’indexation des pensions afin de répartir les coûts du vieillissement plus largement dans la population. Les pensionnés préféreront une réforme du taux d’acquisition, au détriment des plus jeunes générations. Nous avons fait des simulations pour la Belgique sur les conséquences pour les différentes cohortes d’âge de ces différentes réformes sur base des projections démographiques et des taux d’emploi du Bureau fédéral du Plan. Les résultats sont interpellant. En effet, si on devait réformer le système de pension pour que celui-ci soit en équilibre à long terme au moyen d’un ajustement du taux d’acquisition, 85 % du coût de la réforme serait supporté par la moitié la plus jeune de la population. Le taux de remplacement pour les jeunes baisserait de 30 %. Il est possible de limiter cette perte de pension en ajustant l’indexation au lieu d’ajuster le taux d’acquisition. Dans ce cas, 65 % du coût de la réforme serait supporté par la moitié la plus jeune de la population. Le taux d’indexation requis est de l’ordre de 98 % de la hausse nominale des salaires. Ce n’est pas extravagant à condition que cet ajustement soit maintenu dans le temps.

Il est en outre possible de s’approcher d’un partage égal des coûts du vieillissement en modulant l’indexation de sorte à indexer plus avant la pension qu’après la pension.

Le coût de l’inaction

Cette réforme doit se faire au plus vite car le report de la réforme augmente le coût pour les jeunes générations. Nous avons calculé que si notre réforme des pensions est reportée à 2030, cela engendre une baisse supplémentaire du taux de remplacement pour les jeunes de 20 % (soit une baisse totale de 50 %). Le report des réformes a un effet délétère pour les jeunes. Au nom de la solidarité entre générations, comme pour le climat, la réforme doit être faite de façon urgente. Comme disait Camus, la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. Stop au bla-bla !