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La démocratie, au-delà des illusions démocratiques

À l'approche des élections, les illusionnistes politiques sont de retour. Les magiciens, nous le savons, jouent sur la crédulité pour suggérer l'impossible. Nous pouvons les déjouer. Et oser la lucidité démocratique.

La démocratie, au-delà des illusions démocratiques À l'approche des élections, les illusionnistes politiques sont de retour. Les magiciens, nous le savons, jouent sur la crédulité pour suggérer l'impossible. Nous pouvons les déjouer. Et oser la lucidité démocratique.

Dans "Le réel et son double", le philosophe Clément Rosset analyse le déni de réalité en partant d'un vaudeville de Courteline. Le brave Boubouroche y découvre l'amant de son Adèle dans un placard. Mais, plutôt que s'avouer trompé, il croit l’explication tarabiscotée de la belle. "Cet aveuglement", écrit Rosset, "mérite qu'on s'y arrête un peu (…) Le raisonnement qui le rassure pourrait s'énoncer à peu près ainsi: 'il y a un jeune homme dans le placard – donc Adèle est innocente, et je ne suis pas cocu'. Telle est bien la structure fondamentale de l'illusion: un art de percevoir juste, mais de tomber à côté dans la conséquence (…)" comme lorsque "je perçois que le feu est rouge – mais en conclus que c'est à moi de passer".

Bien percevoir, mal penser

Lors du scrutin à venir, nous risquons de succomber massivement à cette erreur de jugement.

Nous sommes toujours plus nombreux à percevoir que nos représentants ne parviennent plus à améliorer nos vies de façon significative. Leur impuissance est visible dans les indicateurs de développement durable du pays. Notre perception est lisible dans le dernier baromètre de l'IWEPS: la satisfaction du fonctionnement de la démocratie s'effondre, seuls 18,8% des Wallons font confiance aux hommes politiques. 

Néanmoins, beaucoup d'entre nous allons nous illusionner en votant pour deux feux rouges. D'une part, les extrémismes. Ainsi, nous plébisciterons Monsieur Hedebouw, l'homme qui prétend qu'une grande entreprise paie 100 fois moins d'impôt qu'en réalité, avec autant d'aplomb que s'il annonçait que le fromage de chèvre provient de la traite des hirondelles. D'autre part, plus modérés, mais néanmoins tentés par le changement, nous allons faire confiance à des nouveaux venus, de mignons petits lapins blancs que les partis traditionnels sortent de leurs chapeaux pour faire croire au printemps.

Or, dans le cadre du jeu actuel, ni les joueurs extrémistes ni les nouveaux joueurs d'anciennes formations ne parviendront à changer quoi que ce soit.

Se désillusionner et débattre

Car il s'agit de changer de système et non dans le système. Un nouveau ministre de la Santé, fut-il médecin révolutionnaire tout juste débarqué du terrain, n'aura guère d’impact si les 185 comités indépendants de l'INAMI qui font tourner la machine de l'État social ne bougent pas. La Belgique est depuis des années un pudding: on bouscule l'assiette, le gâteau tremblote puis reprend sa forme. Alors démasquons les magiciens, osons nous désillusionner: la baguette magique sera sans effet.

Pourquoi souhaiter la lucidité démocratique? Parce qu'elle est nécessaire pour que nous puissions jouer notre rôle. Voter ne suffit pas. Nous devons échanger avec les candidats et les élus. La campagne qui vient est autant la nôtre que celle des partis; nous sommes des concitoyens avec qui interagir, pas des consommateurs à séduire.

Ne faisons pas comme si de rien n'était. Disons aux candidats que nous les aimons, malgré tout, mais qu'il serait temps qu'ils arrêtent de nous baratiner. Demandons-leur de s'accorder entre eux et avec nous sur les constats, même rudes, au lieu de les masquer par idéologie. Et indiquons-leur que sur ces bases, nous souhaitons le débat, pas le combat.

S'enthousiasmer à nouveau

Le débat, lui seul, permettra de trouver de nouvelles voies. Un changement du système est en réalité envisageable. Parce que bon nombre des acteurs qui font vivre la société savent qu'on est au bout de quelque chose et qu'il faut tenter autre chose.

Par exemple, on emprisonne de plus en plus dans des prisons surpeuplées. Qu'importe: des candidats vont proposer plus de sévérité encore, surenchérir sur l'application des peines courtes décidées par le ministre Van Quickenborne. L'expérience en Scandinavie prouve pourtant que l'on parvient à réduire la criminalité et l'emprisonnement en agissant sur l'éducation, le maintien des liens sociaux. Nous pourrions donc débattre et tester une politique plus sage avec des policiers, juges, prisonniers, victimes, puis transformer au départ de succès précis. 

Cette approche d'une démocratie vivante et expérimentale, chère à John Dewey, permettrait d'intégrer la valeur ajoutée des nouveaux joueurs dont l'expertise et la distance seraient alors précieuses. Elle pourrait aussi raviver l'enthousiasme citoyen devant une action sensée enfin enclenchée.

Ce serait lent, incertain, laborieux. Il est donc compréhensible que bon nombre d'entre nous préfèrent esquiver ce chemin. Profiter du spectacle des magiciens est plus cool. Mais, depuis notre fauteuil, nous risquons de renforcer l'impuissance que nous refusons. "L'esquive est toujours inopérante", écrit Rosset à la fin de son livre, "parce que le réel a toujours raison".