Vers l'aperçu

Gestion publique à Bruxelles : Il est urgent de changer de braquet…

La situation de Bruxelles ressemble à une cocotte-minute : la pression sociale monte et la situation économique se dégrade avec un PIB par habitant qui a baissé de 20% en 10 ans par rapport à la moyenne européenne. Cela concerne directement la Wallonie et la Flandre car 20% des emplois à Bruxelles sont occupés par des wallons et 40% par des flamands. Cela concerne aussi tous les Belges car Bruxelles est notre vitrine sur le monde et notre unique métropole qui peut prétendre rivaliser avec les autres métropoles mondiales.

La gestion bruxelloise ressemble à une poule qui court sans tête avec une pléthore d’intervenants dont les rôles et missions ne sont pas toujours clairs. Où sont les caps ? qui décide ? qui est responsable ? Les affaires se suivent et se ressemblent, après le Samu social, c’est le Gial (partenaire technologique de la ville de Bruxelles). Plus récemment encore la gestion de Bruxelles propreté qui a été mise sur la sellette. Comme souvent la presse et le politique ne font que relater la surface des problèmes et se contentent de recommandations comme Bruxelles a besoin d’un bon coup de balai, il faut fusionner les communes, ou encore privatiser les services publics. Pour nous ces propositions sont des conversation-stopper. En outre ces affaires peuvent masquer des progrès. Comme le dit le dicton, un arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse. C’est pourquoi nous avons réalisé une étude fouillée basée sur des entretiens approfondis et une analyse des rapports officiels. Notre conclusion est que tous les outils pour une gestion publique efficace à Bruxelles existent  mais qu’il convient de changer de braquet[1].

Agréable à vivre


Bruxelles est une ville agréable à vivre : les habitants le disent, les enquêtes le chiffrent, et les ranking internationaux conseillent aux expatriés de s’installer dans la capitale belge. Mais la situation de la ville est très préoccupante. Alors que la population augmente depuis 15 ans – aujourd’hui 1,2 million de Bruxellois pour 1 million en 2005 -, l’emploi et le logement sont à la traîne. Conséquence : une production et un revenu par habitant en baisse ; un chômage à 30% pour les jeunes ;  un chômage des personnes d’origine non européenne trois à quatre fois plus élevé que celui des belgo-belges,  l’emploi augmente quatre fois moins vite que la population sur la période 2005-2017 ; 30% de la population sous le seuil de risque de pauvreté ; une difficulté de logement croissante. En fait, les seuls chiffres rassurants semblent être ceux de l’environnement, avec une amélioration de la qualité de l’air et le respect des standards internationaux pour de nombreux indicateurs.

Lacunes structurelles, bonnes pratiques ponctuelles


Dans le cadre de notre étude Itinera, nous avons cherché à cerner l’état de la gestion publique à Bruxelles et à dégager des propositions d’amélioration. Nous avons travaillé sur base des nombreuses données existantes et en interrogeant directement des responsables publics. Il est remarquable que la plupart d’ entre eux aient accepté de nous rencontrer pour discuter en toute transparence et franchise d’un sujet souvent perçu comme sensible. Il ressort de l’analyse que la dégradation de la situation bruxelloise n’est pas due au hasard., Des faiblesses dans la gestion publique ont contribué à la situation. Trois lacunes nous paraissent décisives.

La première lacune est la complexité institutionnelle. Il y a la diversité des communes, certes. Mais il y a surtout une forêt obscure de structures régionales, para-régionales, para-communales, d’acteurs associatifs. En bref énormément de bidules difficiles à relier entre eux.. Actiris – équivalent du VDAB – travaille avec plus de 200 partenaires… Et il y a l’instabilité : quand on regarde l’histoire des institutions bruxelloises, c’est un mouvement perpétuel avec des changements presque chaque année. La seconde lacune est le désengagement et la démotivation des fonctionnaires et agents contractuels. Ce problème n’est pas une particularité exclusive du secteur public. Mais certains chiffres indiquent un absentéisme deux fois supérieur à la moyenne des travailleurs belges . La troisième lacune est le manque d’évaluation des politiques. À quelques exceptions près, on mène des actions sans définir précisément d’indicateurs de résultat et d’impact, et sans les évaluer. Des gabegies comme celle de l’Agence Régionale pour la Propreté en témoignent. Comment faire bien, ou mieux, si on ignore ce qu’on fait ? La déclaration politique régionale annonce de façon fracassante la création de zones sans chômage de longue durée. Mais on ne semble pas retirer les enseignements de cette politique amorcée en France en 2016, notamment le fait que plus de la moitié des candidats potentiels ne se sont pas portés volontaires et que sur la moitié restante moins d’un quart sont effectivement retournés à l’emploi.

Par ailleurs, on constate aussi que la qualité de la gestion publique s’améliore à bien des égards. Derrière le bruit d’un scandale comme celui du Samu social, il y a le silence de la rigueur croissante dans la gestion financière ou la GRH des communes et CPAS, favorisée par des législations plus strictes. Au niveau régional, bon nombre des Organismes Administratifs Autonomes (OAA) ont dorénavant des contrats de gestion qui clarifient leurs moyens et rapports aux politiques. Quant aux réformes successives de la fonction publique, si elles donnent le tournis elles ont permis la mise en place d’outils transversaux comme talent.brussels ou easy.brussels. Même s’ils sont critiquables, ces outils ont le mérite d’exister.

Plan pour une bonne gouvernance


Dès lors, il faut prendre appui sur les bonnes pratiques, expériences et règles pour mettre en place une gestion publique à la hauteur des défis. Cela doit se faire vite, à grande échelle et dans le cadre d’un plan clair pour une bonne gouvernance. Bref : changer de braquet. Ce plan doit permettre trois choses.

D’abord, clarifier et simplifier : généraliser les contrats de performance pour les OAA (organismes administratifs autonomes) et les administrations afin de préciser leurs responsabilités et de renforcer leur autonomie ; lancer un chantier pour réduire le nombre d’acteurs ; généraliser le guichet unique, l’entrée unique et les enquêtes de satisfaction. Le développement de l’évaluation des politiques, notamment par le renforcement de l’IBSA, relève de cette clarification.

Ensuite, former et motiver : former en particulier à l’évaluation et à une GRH fondée sur le respect et le souci d’efficacité ; assouplir les conditions de l’encadrement des travailleurs et développer une palette d’outils de motivation Comme favoriser la promotion interne, établir une équivalence entre la promotion sur base des examens de compétence et sur base des prestations professionnelles, objectiver les processus de nomination  et de promotion, promouvoir la mobilité interne et externe (ce qui exige une harmonisation du statut des fonctionnaires) et enfin développer au sein du personnel la culture du « service au public ».

Enfin, coordonner : créer une commission sur la cohérence et la durabilité́ dans les conseils législatifs, mutualiser les achats, systématiser l’échange des bonnes pratiques.

Le nouveau gouvernement régional bruxellois s’engage-t-il dans la direction ici indiquée ? Pas complètement. Mais, à ce stade, on peut seulement penser comme Paul Claudel : « le pire n’est pas toujours sûr »…

[1] Étude « Gestion publique de Bruxelles » disponible sur www.itinerainstitute.org