Vers l'aperçu

Empathie à L'égoland?

L'ouverture annoncée d'un Legoland à Gosselies peut apparaître comme une bonne nouvelle, mais cet investissement public pose au moins trois questions...

L'urgence sociale et écologique oblige les responsables politiques à prendre des décisions systémiques , qui renforcent dans la durée les personnes, les environnements et les équilibres les plus fragiles. les plus fragiles.

On peut donc s'étonner qu'un gouvernement socialiste, d'une entité régionale aux finances publiques en fort mauvaise situation, décide d' aider un géant capitaliste à créer un parc de divertissement . Puisque, là, des pauvres, peu formés, occuperont des emplois à bas salaire, et parfois saisonniers, afin de permettre à des moins pauvres de venir, notamment en vol low cost, s'amuser dans un lieu parfumé au jeu d'enfant.

Vu sous cet angle, une question se pose: pourquoi l'ouverture annoncée d'un Legoland sur l'ancien site de Caterpillar à Charleroi est-elle présentée positivement? Une hypothèse de réponse est que l'empathie a pris le pouvoir par défaut, faisant alliance avec des égos gonflés à l'hélium électoral

Ne pas désespérer Gosselies

Le lancement du parc d'attractions annoncé pour 2027 peut apparaître comme une bonne nouvelle . L'accord d'investissement de 100 millions d'euros amenés par la Région wallonne devrait permettre la création de 1400 emplois . À la manœuvre, Merlin Entertainments, deuxième groupe mondial du secteur derrière Disney, se réjouit

L'engagement politique est-il pertinent en termes économiques? (...) Pour certains, le fiasco est déjà prévisible.

Mais si le positif n'était que de façade? Cet investissement public pose au moins trois questions.

D'abord, l'engagement politique est-il pertinent en termes économiques Des acteurs du secteur pointent les risques de sous-estimation des coûts d'établissement, de surestimation des recettes et du nombre d'emplois , un effet de cannibalisme du marché existant, une distorsion de concurrence. Pour certains, le fiasco est déjà prévisible.

Ensuite, quelle est la cohérence d'un tel projet? De nombreuses études sur l'emploi – dont l'une récente de Stijn Baert - montrent que les Wallons manquent de formation et en Hainaut plus qu'ailleurs ; or, au lieu de former, on va créer du travail peu qualifié. Outre la formation, les priorités du plan de relance wallon sont la sortie de la précarité, une politique économique et industrielle forte et durable, l'indépendance et la transition énergétique; or, Legoland ne semble pas s'inscrire dans ces axes.

La percée de Legoland est peut-être surtout celle de l'Égoland. De nouveau, des responsables politiques vont se féliciter.

Enfin, quel est le sens de cela? La planète brûle, la guerre est en Europe, une partie de la population décroche, et nous allons augmenter notre capacité de divertissement massive . «Il ne faut pas désespérer Billancourt», aurait dit Sartre. Gosselies non plus. Mais le risque de désespoir ne croît-il pas avec l'absurde?

Repeindre l'échec

Aussi, la percée de Legoland est peut-être surtout celle de l'égoland . De nouveau, des responsables politiques vont se féliciter. Pour ne pas les nommer, il serait bien étrange que Messieurs Magnette et Dermine ne cherchent pas à tirer dans les urnes un profit de cette opération menée chez eux.

Or, voilà deux dirigeants qui ne sont pas des zozos . Le travail du premier à Charleroi est rigoureux, construit progressivement avec un bouwmeester et diverses parties prenantes. Quant au second, il agit en ministre avec un souci d'objectivation et d'impact très rare dans notre culture publique. Alors pourquoi ce grand écart entre pire et meilleur?

Peut-être parce que, après le forfait de Thunder Power et ses voitures électriques , aucune alternative porteuse de réelle valeur ajoutée sociale n'a été trouvée. Les projets sur les anciens terrils de Loos-en-Gohelle , sur les docks de villes anglaises, à la Gare de l'Ouest de Bruxelles n'ont pas ouvert de voie. Mais puisqu'on ne peut pas «rester sans rien faire», on rabat ses ambitions . Pareille évolution étant difficile à avouer et défendre, on repeint l'échec en victoire. Et «vive moi».

Engagement humanitaire

Derrière ce glissement qui transforme l'impuissance en autosatisfaction , on peut craindre qu'un autre twist se soit opéré. L'exigence politique véritable n'a-t-elle pas cédé à la facilité de l'empathie.

Les politiques s'engouffrent dans une agitation industrielle qui ne remplace pas l'action stratégique, mais fait illusion.

Des politiques, on attend qu'ils travaillent à la mise en œuvre patiente et judicieuse de mesures les mieux ajustées possible aux besoins individuels et collectifs. En particulier, ils doivent permettre à chacun d'avoir un rôle positif dans une communauté à laquelle il adhère. C'est pourquoi, sous l'écume des conflits sociaux, les intérêts individuels et communs sont inséparables.

Avec Legoland, on privilégie le gagne-pain. Bien sûr, l'absence de ce dernier entraîne la souffrance des privations matérielles, ressort viscéral des troubles sociaux. Et des engagements humanitaires. Alors, pariant sur l'émotion vive et momentanée des citoyens, les politiques s'engouffrent dans une agitation industrielle qui ne remplace pas l'action stratégique , mais fait illusion.

Encore une fois, les responsabilités sont partagées. Il ne tient qu'à nous, citoyens, de faire vivre un dialogue bien plus critique avec nos représentants.

D'autres friches industrielles à revivifier existent. Il n'est écrit nulle part que Pyrrhus doive gagner partout.