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Ces chiffres qui prouvent l’ampleur du défi lié au financement des pensions

Depuis 2003, les dépenses de pension évoluent plus rapidement que les cotisations sociales. C’est inédit car entre 1985 et 2003 les dépenses de pension ont toujours évolué au même rythme que les cotisations sociales. Depuis  2003, les dépenses de pension ont augmenté de 80% tandis que les cotisations n’ont augmenté que de 40%. Cette dérive dans le financement des pensions se passe en dépit du Pacte de solidarité entre les générations (23 décembre 2005) et des réformes successives des pensions des gouvernements Di Rupo 1er et Michel 1er. Il y a plusieurs facteurs qui contribuent à ce décrochage tant du côté des pensions que du côté des cotisations.

Du côté des pensions, une explication du décrochage est le vieillissement de la population. On vit de plus en plus longtemps. Cela signifie que les pensions doivent être versées pour une durée moyenne de plus en plus longue (en moyenne 18 ans pour les hommes et 23 ans pour les femmes sur base d’un départ à la pension à 65 ans).  Cependant ce facteur est loin d’expliquer le décrochage qui s’opère depuis 2003 car le vieillissement n’est pas un phénomène nouveau et il n’y a aucun signe d’une accélération de ce phénomène depuis 2003. Une seconde explication du décrochage est la rupture dans la taille des cohortes liée au papy-boom.  Les cohortes nées du baby-boom entre 1945 et 1965 sont entrées sur le marché du travail entre 1965 et 1985 pour ensuite partir à la pension entre 2005-2025. Nos gouvernements passés pouvaient parfaitement anticiper ce phénomène mais on a préféré procrastiner en ne constituant aucune réserve de financement susceptible de couvrir le coût supplémentaire des pensions lié au papy-boom.  Les dépenses sont donc aujourd’hui en hausse rapide sous l’effet du départ massif à la pension de ces cohortes qui gonflent inéluctablement les rangs des pensionnés. On comptabilise environ 125.000 nouveaux entrants à la pension chaque année. Il faut évidemment tenir compte des « départs naturels » (pensionnés qui décèdent) pour obtenir l’impact net sur le nombre de pensionnés.  Compte tenu des différences dans les tailles des cohortes et des gains de longévité, le nombre de pensionnés ne cesse d’augmenter. En cinq ans le nombre de pensionnés a augmenté de 158.000 unités. On s’attend sur la prochaine décennie à voir le nombre de pensionnés augmenté de 25 pour cent, et compte tenu de l’imprévoyance de nos gouvernements (et partenaires sociaux !), leurs pensions n’ont guère été provisionnées.  Une troisième explication de la hausse des dépenses de pension est le remplacement naturel des « anciens » pensionnés par des « nouveaux » pensionnés qui se traduit par une hausse de la pension moyenne. En effet un « nouveau » pensionné part en moyenne avec une pension plus élevée qu’un « ancien » pensionné du fait de la simple progression des salaires entre générations. En outre les « anciens » pensionnés sont le plus souvent des femmes avec des pensions de survie généralement plus faibles.  A cela s’ajoute la revalorisation des pensions minimums au cours des dernières années et la pension croissante des femmes liée à leur participation accrue au marché du travail. J’ai calculé que sur cinq ans, les dépense de pension ont augmentée de 30 % dans chaque régime (indépendants, salariés et fonctionnaires) et que deux tiers de cette augmentation résulte d’une augmentation de la pension moyenne (le reste relève de l’augmentation du nombre de pensionnés).

Recettes

Du côté des recettes, le décrochage des cotisations sociales peut résulter d’une politique d’allègement des charges sociales avec un financement alternatif pour promouvoir l’emploi comme nos gouvernements successifs font depuis le pacte des générations.   Cette mesure est louable si en relancant l’emploi, elle permet de réduire les dépenses de chômage. Néanmoins, l’effet retour de ces politiques sur l’emploi se fait attendre. La Belgique reste en effet depuis dix années avec un taux d’emploi des personnes entre 20-64 ans globalement stable autour de 67 pourcent (loin de l’objectif européen de 73% en 2020). Vient s’ajouter à cela l’érosion des cotisations résultant de la problématique des travailleurs détachés qui rogne le financement de notre sécurité sociale.

Compte tenu de ce décrochage entre recettes et dépenses, la question des financements complémentaires (au-delà de la question des pensions complémentaires !) devient inévitable, sauf à accepter une baisse des pensions en cours ou une hausse des taux de cotisation avec un risque pour l’emploi. Sous la pression populaire on doit donc s’attendre à ce que le trou qui se creuse entre cotisations et dépenses de pensions soit partiellement comblé par des financements complémentaires. Cependant le recours au financement complémentaire va lui-même rencontrer une autre limite qui est la nécessité de préserver les autres postes de dépenses de la sécurité sociale, ainsi que les autres dépenses publiques (comme l’enseignement). Dans la mesure où ces financements complémentaires ne sont pas inépuisables, des mécanismes d’ajustement équilibrés de notre système de pension s’avèrent indispensables. Parmi ceux-ci l’allongement progressif des carrières devrait jouer un rôle essentiel. Cette exigence est naturelle dans la mesure où les carrières sont aujourd’hui plus courtes qu’elles ne l’étaient par le passé, et qu’elles donnent droit à une rente de pension plus élevée pour une période plus longue. Notons que la situation s’améliore depuis cinq ans puisque les carrières ont augmenté d’un an chez les femmes et deux ans chez les hommes. Cependant les belges continuent de partir plus tôt à la pension que leurs voisins : l’âge effectif de pension est de 61 ans pour les hommes (contre 65 ans dans l’OCDE) et de 60 ans pour les femmes (contre 63 ans dans l’OCDE). Ces départs anticipés se traduisent par un allongement de la durée effective de pension (22 ans pour les hommes et 26 ans pour les femmes. Cela représente une augmentation par rapport à 1970 de 7 ans pour les hommes et les femmes. L’exigence d’allonger les carrières semble souhaitable mais aussi difficile à réaliser pour plusieurs raisons. Premièrement, l’allongement des carrières se heurte à notre régime actuel de pension qui encourage les carrières courtes et souffre d’un manque de flexibilité concernant les métiers pénibles et la sortie progressive à la pension. Deuxièmement, l’allongement des carrières se heurte du côté des employeurs à une réticence à former et conserver des travailleurs « plus âgés » du fait notamment des surcoûts que cela implique. Troisièmement, l’allongement des carrières se heurte, en particulier dans la fonction publique, à une démotivation des travailleurs âgés qui se voient parfois poussés vers la sortie pour permettre des promotions internes.   La réforme des pensions ne pourra réussir que si nous arrivons à lever ces obstacles à l’allongement des carrières tout en acceptant la nécessité d’un financement complémentaire pour combler le solde. Une réforme équitable entre générations devra aussi veiller à mieux partager entre générations le coût du vieillissement par des mécanismes d'adaptation qui jouent tant sur les contributions que les prestations. La pension à points permet cela et c’est à mon avis ce qui fait sa force par rapport au système existant.

Publié dans L’Echo 13 janvier 2018