Entendez-vous les fissures ?
Il y a les craquements du monde, bruyants, violents.
Et puis il y a les fissures, plus discrètes, parfois même silencieuses, mais non moins dangereuses pour la dignité de chacun et pour la paix sociale.
Au fil des dernières semaines, plusieurs acteurs sociaux ont publié des études ou fait des déclarations convergentes : une partie de la population belge décroche.
En Flandre, après des mois d’analyse de données statistiques de diverses sources fiables ainsi que d’entretiens qualitatifs, l’association ArmenTeKort a dégagé des corrélations nettes entre qualité de logement et décrochage scolaire. Elle montre que, si la tendance générale moyenne est à une réduction du décrochage, elle est par contre à la hausse pour la population pauvre. Elle en appelle à agir en priorité sur le logement, et à concentrer les moyens publics sur les familles les plus démunies.
En Wallonie, le réseau de lutte contre la pauvreté en appelle à inscrire un pacte logement-énergie dans la prochaine déclaration gouvernementale. Le réseau constate lui aussi le caractère déterminant du logement pour stabiliser les existences. Pour beaucoup d’entre nous, ces existences sont de plus en plus précaires.
À l’échelle de la Fédération Wallonie Bruxelles, l’Observatoire de l’action sociale locale a présenté les résultats de son étude sur les CPAS. Il s’agit d’une enquête quantitative et qualitative, à laquelle plus de la moitié des centres ont répondu. Outre les difficultés liées au mode de financement des CPAS, il en ressort notamment que les travailleurs sociaux se sentent/sont démunis face à l’enchaînement des crises, à la transformation du public aidé, la croissance des problèmes d’addiction, de santé mentale et de violence.
À l’échelle européenne, une étude sur la transition équitable vue par les publics les plus pauvres a été réalisée dans 9 pays. La Fondation Roi Baudouin a pris en charge le volet belge. Il en ressort notamment un appel à concentrer les moyens, à simplifier les accès aux aides, à éliminer les cloisonnements et labyrinthes institutionnels qui laissent les plus fragiles hors-jeu.
Les constats et recommandations de ce travail rejoignent très largement les enseignements dégagés des rencontres que nous avons organisées dans le cadre du Brain Trust.
Certains pourraient être tentés de prendre pareils appels à la légère : parce que « dans l’ensemble cela ne va pas si mal », voire en arguant du caractère idéologique des sources. Bon nombre d’acteurs sociaux, sinon de chercheurs, n’échappent pas au biais idéologique. Mais, quelles que soient leurs imperfections, les points de vue ou travaux ici indiqués sont corrects.
Ce que tous nous disent, c’est que « l’ensemble » se fissure.
Dans notre rapport Itinera sur la lutte contre la pauvreté paru l’an dernier, nous indiquions déjà la prudence nécessaire envers les chiffres généraux et les angles morts de la réflexion. Car ceux-ci estompent la diversité des situations, des problèmes, des décrochages.
Entendre les fissures ne suffit pas pour organiser un bon débat, identifier des politiques efficaces et efficientes, allier les volontés et les moyens adéquats.
Mais c’est nécessaire.