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Scinder la Belgique pour restaurer la démocratie? Quelques réflexions à partir de Bart de Wever

Bart de Wever est un brillant orateur à l’esprit aiguisé. Il est donc souvent intéressant d’entendre ce qu’il a à dire, d’autant que son point de vue semble susciter chez nos compatriotes néerlandophones une adhésion croissante. Pour le leader de la NVA, la Belgique n’existe plus comme espace politique et économique unifié. Il y a deux opinions publiques, des media distincts, des préoccupations différentes, le tout sur base de réalités socio-économiques totalement opposées. Pour faire court, la Flandre a selon lui plus que la Wallonie un tissu de PME tournées vers l’exportation et une économie portée par le secteur privé. Pour elle, la contrainte extérieure est centrale – et dure. La partie francophone du pays aurait perdu le sens des réalités à cause de transferts trop importants (non objectivement justifiés) lui permettant de mener des politiques publiques généreuses (voire inefficaces selon lui) qu’elle ne pourrait financer seule, et un secteur public trop large la protégeant en quelque sorte des vents de la concurrence internationale. On pourrait discuter à l’envi de la réalité de cette situation (il n’est pas sûr que le Brabant wallon ait à rougir de sa situation, et les travailleurs d’Arcelor Mittal douteront du fait qu’ils vivent dans une région abritée de la concurrence internationale) mais je me limiterai ici à débattre de l’argumentaire purement politique de Bart de Wever. Pour lui, suite à la situation objective (ou non, c’est un autre sujet) de la Flandre, ses habitants demandent d’urgence de profondes réformes socio-économiques à l’allemande (du genre de celles menées par le chancelier Schröder dans la première moitié des années 2000) – menant à durcir le modèle belge pour en renforcer la compétitivité, au prix sans doute de plus d’inégalités. Il faut réduire la voilure de l’Etat-providence, accroître la responsabilisation des acteurs, réduire les allocations de chômage au cours du temps et leur caractère illimité, flexibiliser davantage le marché du travail, supprimer l’indexation automatique des salaires, contrôler strictement l’évolution des coûts salariaux, réduire le poids fiscal sur le secteur privé et tendre vers un Etat maigre mais efficace, en quête d’équilibre budgétaire permanent. C’est à ce prix que la Belgique, ou à défaut la Flandre, pourra continuer à rester compétitive et faire partie des régions du Nord de la zone Euro qui s’en tirent bien, avec une balance extérieure positive. Or selon lui ce changement serait bloqué par les partis francophones à l’échelon fédéral. On pourrait ici discuter de la validité de ce propos car dans un sens le gouvernement fédéral actuel va au moins dans la direction préconisée par Bart de Wever. Mais pour lui, la volonté de la majorité des Flamands pour une politique économique (encore plus) de centre-droit ne peut être réalisée parce que les politiques au niveau fédéral doivent recueillir aussi l’aval des francophones, qui préfèrent majoritairement des politiques plus à gauche. La Flandre (et donc la majorité des Belges) est pour lui otage d’une minorité (les francophones – du moins la majorité qui vote au centre-gauche) qui empêche les « bonnes politiques » (pour la Flandre, mais dans son esprit aussi pour les Wallons) d’être mises en œuvre. Il joue habilement sur l’angoisse en Flandre d’un retour à une forme de déclin économique mais aussi sur un argument démocratique central : les politiques doivent répondre aux vœux de la majorité.

 

 

Bart de Wever propose donc la scission (ou le confédéralisme, ce qui revient au même au plan socio-économique) comme solution. Il souhaite que la Flandre dispose de tous les leviers de la politique économique (y inclus fiscale et la gestion du marché du travail) pour mener une politique pleinement cohérente, de droite, conforme à l’agenda européen (la façon dont on a construit la zone Euro rend quasi impossible la poursuite d’une autre politique, et c’est le marché du travail qui est appelé à porter tout le poids de l’ajustement – un élément qui rend très inconfortable la position des partis de centre-gauche qui sont contraints soit de poursuivre des politiques très éloignées de leur ADN de base soit de remettre en cause toute l’architecture actuelle de la construction européenne). Dans le cadre d’une Flandre indépendante, les habitants du Nord du pays auront des politiques conformes à leurs préférences et seront donc pleinement disposés à payer pour. Dans le cadre belge, ce ne serait plus possible.

 

 

 

 

Il y aurait une solution alternative logiquement cohérente : accepter que les politiques menées en commun à l’échelon fédéral soient pleinement et entièrement communes et répondent donc aux vœux de la seule majorité de tous les Belges, sans plus regarder si elles sont majoritaires auprès de tel ou tel sous-groupe (Francophone, Néerlandophone, Wallon, Germanophone, Bruxellois, voire autre…). Si les politiques fédérales sont réellement communes il est logique que pour ces matières-là la seule majorité qui compte soit celle des Belges. Pour ces politiques-là, le financement peut être national car elles recevraient un soutien majoritaire au Parlement fédéral. Il n’est dans cette logique pas choquant qu’un gouvernement fédéral n’ait pas la majorité dans une des régions (comme c’est le cas actuellement d’ailleurs) s’il a le soutien d’une majorité au parlement fédéral. Pour les élections fédérales, il serait d’ailleurs tout aussi logique que tous les partis puissent se présenter partout en Belgique, voire s’associent s’ils défendent des points de vue communs. Après tout, les politiques fédérales concernent tout le monde. Bien entendu, cela obligerait à se poser explicitement la question de savoir ce que les Belges veulent vraiment faire ensemble – car les politiques déclarées fédérales doivent être vues comme exclusivement belges, et pas flamandes ou wallonnes. Si on considère qu’une certaine politique soutenue majoritairement au Nord n’est absolument pas acceptable au Sud (ou l’inverse), il semble alors logique de scinder les choses dans ce champ-là (et sans doute aussi le financement). Les mécanismes de transfert entre régions doivent bien sûr exister et se discuter, mais sans doute indépendamment des choix de politiques menées dans chaque partie du pays (au sens où il paraît peu démocratique de demander à la population d’une partie du pays de financer des politiques dans une autre région pour lesquelles elle n’a pas voté et est peut-être en désaccord profond).

 

 

 

 

Bart de Wever a tort de dire que pour exister un pays doit se caractériser par une forte cohérence des préférences politiques (à ce compte-là, la Bavière et le Mecklenburg ne devraient pas faire partie du même pays, ni l’Alsace et la Bretagne) – et que la différence des opinions justifie une sécession. Car un tel argument revient à dire à la fois que la démocratie est bénéfique si tout le monde est d’accord (c’est vite oublier le bénéfice informationnel lié à la confrontation de points de vue différents) et qu’un peuple ou une nation se définit sur base de préférences politiques communes (ce qui est une vision à la fois irréaliste et romantique).

 

 

 

 

Le problème vient de ce qu’en Belgique on n’a pas profondément défini ce que l’on veut faire ensemble, et que chacun veut se protéger dès lors de politiques qui ne seraient pas majoritaires dans son groupe (mais sans pour autant clairement débattre de la question concomitante du financement). En Allemagne les choses sont plus claires car Bavarois et Mecklenbourgeois savent que le gouvernement fédéral (dans les matières qui sont siennes) fera ce que veut la majorité des Allemands (pris dans leur totalité). L’abandon de partis nationaux en Belgique et la différence de langues rendent les choses plus difficiles mais peut-être pas impossible. On peut concevoir de construire une fédération commune. Mais les Belges – et aussi les Francophones - le veulent-ils ? Si oui, ils forment encore un pays. Si non, ils sont déjà dans la logique confédérale voire séparatiste. Ce ne serait pas nouveau dans l’histoire longue de nos régions où les tentatives d’unification ont toujours été mal acceptées.