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Rompre la loi du silence: compte rendu public des résultats des soins de santé + réaction de Jacques de Toeuf

La satisfaction subjective à l’égard de notre système de soins de santé atteint des niveaux particulièrement élevés. Notre système de soins de santé est décrit comme le système le plus généreux d’Europe du fait de la liberté qui nous est offerte dans le choix des soins et de l’accessibilité à ce système. Des rapports internationaux remettent toutefois en doute l’objectivité de ce niveau record. La nuance, c’est que le libre choix et la satisfaction qui l’accompagne ne sont que peu basés sur des choix véritablement informés, par manque de transparence des résultats en matière de soins de santé. Or, la qualité est souvent en deçà du niveau voulu et tus les hôpitaux ne sont pas aussi performants. Ainsi, le nombre de réadmissions varie-t-il entre 2,4 % et 7,8 %; est-il question de préjudice lié aux soins pour 1 patient sur 10, voire 1 sur 3 et, dans le cas du cancer du sein, les chances de survie à 5 ans varient-elles entre 50% et 90% d’un hôpital à l’autre. Les différences dans la population de patients, l’excuse fréquente, n’expliquent pas tout: elles sont assez faibles dans notre système de soins de santé. Le nombre de patients par infirmière varie aussi de manière assez significative: de 7,5 à 16 et la part d’infirmières titulaires d’un baccalauréat de 26 % à 86 %. Il est à noter que ces deux chiffres sont étroitement liés au nombre de décès.



Savoir où l’on peut bénéficier de la meilleure qualité des soins est un droit fondamental de tout patient. La directive européenne relative aux soins de santé transfrontaliers prescrit même une offre transparente! Des démarches sont entreprises, mais l’ouverture est insuffisante et les initiatives dénuées d’engagement. Rien d’étonnant dès lors à ce que ce soient principalement les hôpitaux performants qui publient leurs résultats. La transparence est pourtant une condition requise pour un changement de culture orienté qualité. Nous passons ainsi d’un pseudo-libre choix et d’une satisfaction basée sur la réputation vers un patient consommateur véritablement informé. Les informations sont disponibles. Elles ne sont toutefois transmises ni de manière systématique, ni de manière uniforme. L’ère du silence est révolue. Il faut charger un organe indépendant de dévoiler les résultats.



Une politique de qualité ferme, qui ne se limite pas à quelques projets, s’impose également. Trop souvent, on entend dire dans le secteur: «Vous voyez, nous œuvrons à l’amélioration de la qualité, nous avons engagé un coordinateur de qualité!». L’accréditation fait partie des moyens, mais on s’en sert trop souvent aux fins de redorer son blason. Le combat pour une meilleure qualité doit être imprégné dans chaque fibre de tout établissement de soins et ne peut être considéré comme une guerre menée contre les médecins et les prestataires de soins. Sans leur engagement, il ne sera pas possible de réaliser l’objectif d’amélioration de la qualité. Dans ce cadre, la qualité ne peut être synonyme de bureaucratisation et de réglementation à l’excès. Sans quoi, les soins seraient menacés de destruction interne par une résistance incessante à toute forme de changement. La numérisation et la simplification administrative doivent lui offrir une chance de réussite. Une bonne administration doit aussi mettre la qualité à l’ordre du jour de tout comité directeur, conseil médical et conseil d’administration. Ce faisant, le suivi de la qualité servira à guider la politique, à faire des choix de processus de soins dans lesquels on souhaite exceller, à investir dans la politique du personnel plutôt que de suivre la voie des suppression d’effectifs et à développer une stratégie visant une ambition collective d’amélioration.



Svin Deneckere, Fellow Healthcare and Elderly Care, Itinera



 

«Il ne faut pas confier cette mission à l’Etat»




Le vice-président de l’Absym, Jacques de Toeuf, considère que le patient doit être informé dans la plus grande transparence sur la qualité et l’efficacité des hôpitaux par un organe indépendant.



«La transparence dans les soins de santé est importante. Les hôpitaux ne peuvent plus, comme il y a 20 ans, s’abstenir de communiquer des informations aux patients sur ce qui les concerne», souligne le Dr de Toeuf. «Il y a une demande au niveau de l’accountability, ce qui veut à la fois dire “rendre compte” et être “responsable”. Comme les soins de santé sont financés par l’Etat et par l’argent qui vient de la poche du patient, ce dernier a le droit d’être informé.»



Quant à la comparaison au niveau de l’encadrement en nursing avancée par Itinera (ci-contre), Jacques de Toeuf rappelle que des normes fixent le nombre d’infirmières par unité. «A cet égard, il ne peut pas y avoir de fortes différences entre les hôpitaux. C’est le cas par contre dans d’autres pays. Des études américaines ont montré l’impact de l’encadrement infirmier – en nombre et en qualité – sur le taux de mortalité des patients.»



Méthodologie rigoureuse



Si le directeur général médical du Chirec est favorable à une information objective du patient, il estime qu’elle doit être délivrée par un organisme indépendant. «Cette nouvelle structure doit préparer une méthodologie rigoureuse, des formats de présentation des indicateurs et les assortir des commentaires nécessaires à leur bonne compréhension. Par ailleurs, il ne faut pas que le comité de pilotage de cette agence indépendante soit composé de représentants de tous les hôpitaux universitaires et de toutes les mutuelles. Dans le cas contraire, les données risquent d’être biaisées et les participants n’auront pas confiance dans cette agence. Dès lors, les résultats des comparaisons entre établissements de soins ne reflèteront pas la réalité.



«Ces indicateurs doivent aussi être pertinents. Par exemple, la comparaison du taux d’infections nosocomiales dans les hôpitaux n’a de sens que si l’on connaît le taux d’infections des patients admis dans cet hôpital. Il faut être prudent avant de publier des résultats.»



Jacques de Toeuf estime qu’il ne faut surtout pas que l’Etat se charge de comparer les institutions de soins et de fournir ces informations aux citoyens. «L’Etat édicte déjà les règles, les normes d’agrément et le financement… Si, en plus, il devait se charger du contrôle cela poserait des problèmes. Il y a déjà assez de “chipotages” en faveur des uns au détriment des autres. Je n’ai aucune confiance dans l’Etat ou même dans le Centre fédéral d’expertise des soins de santé pour assurer ce type de mission.»



Ce travail pourrait, par exemple, être effectué par les organismes d’accréditation. «La Haute autorité de santé, un organisme français, fait du bon boulot. Mais cette institution se concentre principalement sur les procédures des soins de santé. Or, ce sont les résultats qui intéressent les patients.»



Que deviendront les honoraires?



Dans le mémorandum adressé par l’Absym aux présidents des partis, dans le cadre des élections du 25 mai, le syndicat médical a interpellé les politiciens sur l’évolution du système de financement des hôpitaux et de rémunération des médecins. Nous reprenons ci-dessous les interrogations et propositions formulées par l’Absym.



«La ministre de La Santé publique et des Affaires sociales, Laurette Onkelinx, a mis en route un nouveau mode de financement des hôpitaux, “prospectif par pathologie”. Que deviendront les honoraires et, dans chaque pathologie, l’affectation du coût compris dans les honoraires? Devant nos remarques, la ministre a d’abord chargé le KCE d’une “concertation” et le projet est reporté à 2015. C’est demain», prévient l’Absym. «Nous avons alerté les Conseils médicaux par une circulaire du 7 août 2013 demandant les avis des staffs hospitaliers et, faute de réaction, nous avons demandé l’intervention d’experts pour éviter que les praticiens ne soient floués. Après audition des personnes concernées qui s’impliqueront, et dans l’esprit des remarques, l’Absym défendra le rôle des médecins et le maintien des moyens nécessaires pour leur liberté diagnostique et thérapeutique et pour la qualité.»



Par ailleurs, la Chambre syndicale des médecins du Hainaut, de Namur et du Brabant Wallon a organisé récemment plusieurs séminaires consacrés au financement hospitalier. Elle a également adressé à Laurette Onkelinx et au KCE un courrier reprenant son analyse du financement prospectif par pathologie. «Si on ne veut pas figer, voire régresser l’exercice de la médecine et la qualité actuelle, il faut que le financement par pathologie soit une notion d’assurance fixant le montant remboursé, mais laissant le cas échéant une marge d’intervention personnelle pour intégrer la qualité, le coût et le prix. Ces charges supplémentaires pourraient être imputées à l’assurance complémentaire des mutuelles», analyse la Chambre syndicale. «L’enjeu et le défi du maintien de la qualité seront médicaux sur le plan global, comme dans chaque hôpital. La détermination d’un financement des actes compris dans chaque pathologie (actes toujours inclus par essence) dans un traitement ou, au contraire, inclus selon certains critères, doit être l’apanage des responsables des soins, les médecins, soit par leur représentant, soit individuellement. La partie “honoraires” du financement par pathologie comme les autres honoraires hors du système doivent être gérés, facturés, versés et affectés par le service de facturation selon les accords prévus par la loi sur les hôpitaux. A défaut de loi précise sur ce point, l’honoraire revient intégralement au pool. Il faut donc que cette partie soit clairement identifiée et fixée à travers les organes actuels (CNMN, CTM).»



Jacques de Toeuf, vice-président de l’Absym