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Plus l’État est grand, plus le besoin d’efficacité est criant

Le gouvernement a finalement envoyé le budget à la Commission européenne. Adam Smith avait déjà constaté en 1766 que l’État dans un pays civilisé coûtait plus cher que dans un pays barbare. L’affirmation selon laquelle les prélèvements publics permettent précisément la libre entreprise peut paraître quelque peu provocatrice, mais il existe au fond un grand consensus en Europe selon lequel un degré important d’intervention publique est souhaitable. Nous ne sommes donc pas aux États-Unis où toute une campagne électorale a été élaborée avec des Républicains criant histériquement « We built it » (C’est nous qui l’avons construit) après que le président Obama eut fait remarquer que l’enseignement, mais aussi les routes et les ponts de Virginie, avaient été réalisés grâce au gouvernement. Espérons que nous ne sortirons pas, dans notre pays, les arguments des uns et des autres de leur contexte au point de devoir, comme un journal américain, coter les discours sur l’échelle de Pinocchio. Nous constatons pourtant aujourd’hui également que même dans le cadre du modèle européen, il existe des différences en ce qui concerne les prélèvements publics entre des pays tels que la Suisse ou la Belgique.



Il est frappant de constater qu’alors que très peu de régularités empiriques sont, dans la discipline économique, érigées en loi, plusieurs ont toutefois atteint ce statut pour ce qui est de l’évolution historique des prélèvements publics. La « loi de Wagner » affirme ainsi que la croissance des dépenses publiques est toujours supérieure à la croissance du revenu national. Déjà au 19e siècle, Adolph Wagner alléguait qu’avec la complexité toujours croissante de la société, l’État se verrait confier de plus en plus de tâches. Dans les années ’60 du siècle dernier, Peacock et Wiseman attirèrent l’attention sur l’expansion cahotante du budget public. Selon leur théorie des paliers de croissance, les crises politiques et économiques graves surmontent la réticence à l’égard d’une hausse des impôts qui y va de pair. Après la secousse, les prélèvements publics diminuent quelque peu mais restent au-dessus du niveau d’avant la perturbation. Ceci révèle l’interaction avec le système fiscal et là aussi, des mécanismes évidents entraînent une hausse historique du poids de l’État. Alors que jusqu’au 19e siècle, la part des recettes fiscales dans le revenu national se situait sous la barre des dix pourcent (rappelez-vous également la perception de la dîme au Moyen-âge), des systèmes d’impôt progressif sur le revenu firent partout leur apparition, principalement suite à l’instauration du droit de vote général. Ce qui n’est pas surprenant compte tenu d’une répartition des revenus dans le cadre de laquelle la plupart perçoivent un revenu en dessous de la moyenne. Ce qui est moins évident, c’est qu’il ressort également de diverses études que la population souffre de ce que l’on appelle l’illusion fiscale. Elle ne se rend pas suffisamment compte que lorsqu’elle insiste pour que toutes sortes de nouveaux rôles soient joués par l’État, un coût y est également lié. Ceci est lié à la problématique de la « mise en commun » par laquelle des groupes négocient avec plaisir des avantages pour leur propre arrière-ban, sachant que le coût peut en être répercuté sur l’ensemble de la population. On connaît tous bien les politiques qui promettent, au moment des élections, qu’ils mettront leur influence à ‘Bruxelles’ au service de la population locale.



Les motifs électoraux jouent bien entendu également un rôle important, un cycle électoral ayant dans notre pays déjà à d’innombrables reprises été démontré dans les dépenses publiques au niveau communal par d’importants travaux publics avant les élections et le prélèvement d’impôts locaux après les élections. La politique de nombreuses entreprises publiques a dans le passé également permis d’agir en territoire conquis. Les chemins de fer en sont l’exemple par excellence avec la célèbre ‘wafelijzerpolitiek’ (politique du gaufrier) en Belgique en tant que facteur aggravant. De nombreuses entreprises privées connaissent également, certes, d’énormes inefficacités, mais elles seront, à terme, chassées du marché par des concurrents plus rentables, sauf bien entendu en cas de fonctionnement défectueux du marché. C’est la raison pour laquelle une nouvelle culture de gestion des entreprises publiques ne peut apparaître qu’à partir du moment où il est clairement établi qu’en cas de déficits éventuels, il n’est pas toujours possible de faire apparaître un deus ex machina comblant ces déficits. Ceci est bien entendu également essentiel pour empêcher que des entreprises privées qui fournissent des services similaires dans certains segments ne doivent pas systématiquement mordre la poussière parce qu’elles sont incapables de survivre à des concurrents subventionnés. Avoir conscience de la possibilité d’une faillite du marché est en effet aussi fondamental qu’avoir conscience de celle de la faillite de l’État. Les êtres humains sont des êtres humains, quels qu’ils soient.



Un phénomène devenant de plus en plus pertinent pour expliquer le poids croissant des dépenses publiques dans l’économie est la différence entre les services et l’industrie au niveau de l’évolution de la productivité. Dans l’industrie, d’importants sauts de productivité sont possibles grâce à une automatisation poussée alors que dans le secteur des soins de santé, par exemple, un médecin a aujourd’hui toujours besoin d’un quart d’heure pour une consultation de patients. Pour rompre cette loi dite de Baumol, on place beaucoup d’espoir dans l’informatisation, mais les résultats restent jusqu’à aujourd’hui plutôt limités à l’échelle macro.



On ne peut bien entendu faire abstraction, dans le débat sur un petit État contre un grand État, de l’influence de l’idéologie. Il est pourtant utile d’objectiver également le mieux possible l’analyse des prélèvements publics. Notre pays fait face à une dette publique égale à la somme de tous les revenus perçus pendant toute une année. Une hausse du taux de la dette peut faire en sorte que l’État devienne un facteur d’instabilité. Cela ne peut bien entendu être l’objectif. Les futurs pensionnés comptent sur le fait que l’État tienne la promesse qui leur a été faite. Nous aurons rudement besoin de tous les moyens que nous pourrons dégager. Que notre État mette à profit les moyens qu’il perçoit de la manière la plus efficace possible, n’est dès lors qu’une exigence légitime.



Économiste en chef à l'Itinera Institute, Executive professor à l'Antwerp Management School et auteur du livre récent “Roekeloos, over banken en politiek”