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Madame la Ministre de l'Enseignement: confinement ne signifie pas nivellement par le bas de l’école

Dans les milieux modestes l’école est parfois la seule chose qui permette de s’élever. En période de coronavirus et de confinement forcé à la maison, on se serait attendu à ce que notre enseignement obligatoire se mobilise (comme l’enseignement supérieure le fait) pour en faire l’opportunité inédite d’une transformation pédagogique avec l’enseignement à distance. Nous devons en effet organiser la continuité de la scolarité en offrant un soutien à distance à tous les élèves, et surtout à ceux qui sont de milieux modestes. Mais ce n’est pas le chemin que semble prendre nos autorités.

La circulaire du mardi 17 mars de la ministre de l’Enseignement francophone est surprenante à bien des égards. En période de basculement forcé vers l’enseignement obligatoire à distance "...dans un souci d’assurer une égalité devant les apprentissages, les travaux ne peuvent en aucune manière porter sur des apprentissages qui n’ont pas été abordés préalablement en classe ; ils doivent s’inscrire dans une logique de remédiation-consolidation-dépassement..."

La circulaire en Flandre va globalement dans le même sens en interdisant tout nouveau contenu. Mais elle propose aussi des formes alternatives d’enseignement à distance et un support technique aux équipes pédagogiques. Beaucoup d’enseignants ne suivent pas la directive car ils craignent de ne pas atteindre les objectifs pédagogiques pour la fin de l’année (eindtermen). La VRT propose de son côté des programmes pédagogiques (De Klas).

Nivellement par le bas

Il serait donc interdit pour l’enfant de continuer à apprendre hors de la classe. Il ne peut PAS apprendre de nouvelles choses. Cette interdiction se fait dans un esprit bien intentionné d'égalité. Nous voilà de retour vers cette mauvaise habitude du nivellement par le bas : cessez d'apprendre, de peur que vous appreniez plus que d'autres. Cette injonction est absurde, car les familles ne la suivront pas. Il suffit de voir à quelle vitesse les rayons parascolaires se sont vidés dans les librairies et l’explosion des cours particuliers sur Skype et autres. Cette injonction est injuste, car elle va creuser les écarts entre ceux qui peuvent trouver un soutien alternatif à l’école et ceux qui ne le peuvent pas, "abandonnés" par notre école.

De bonnes intentions ne suffisent pas à faire une bonne politique

Ce qui est dramatique, c’est que cette mesure est le pire ennemi de ceux qu’elle est supposée protéger. Il est bien connu que les bonnes intentions ne suffisent pas à faire une bonne politique. Les enfants ont besoin de soutien particulier quand la famille ne peut pas procurer ce soutien scolaire. Les enfants ont besoin de travailler ensemble (à distance si nécessaire) pour se sentir impliqués dans leur scolarité. Les enfants ont besoin du contact personnel avec leur enseignant. Les enfants ont besoin d’un rythme scolaire, ne serait-ce que pour se lever le matin si les parents travaillent.

Ces mesures égalitaristes sont d’application depuis des décennies chez nous et si l’on se compare aux pays voisins, on observe un nivellement par le bas de l’école, des inégalités scolaires insupportables et une absence de mobilité sociale (voir "L’école de la réussite", Itinera 2017). Cette politique ne fonctionne pas. Ce n’est pas en supprimant les devoirs que l’on aide les enfants de milieux modestes. La réussite scolaire est un enjeu crucial dans les milieux modestes car c’est elle qui ouvre les perspectives de mobilité sociale. Malheureusement, chez nous, plus de trois quarts des élèves de milieux modestes sont en retard scolaire. C’est un record mondial. Le retard scolaire commence dès le maternel et le primaire.

Les belles initiatives

Face à cette injonction ministérielle, fort heureusement la communauté scolaire se mobilise pour ne pas abandonner ses élèves. Des initiatives fleurissent de part et d’autre. On échange sur les plateformes, des bonnes pratiques ou des outils pédagogiques simples et gratuits qui permettent d’accompagner à distance les élèves dans leur scolarité. C’est de la désobéissance civile et tant mieux ! C’est un effort pour poursuivre la scolarité et continuer à progresser avec les élèves. C’est un effort pour enrayer le nivellement par le bas et promouvoir l’excellence pour tous. Il n’y a pas de honte à oser l’excellence pour nos enfants.

Compte tenu de la gravité de la situation de confinement, nous aurions pu ignorer cette circulaire. Mais non. Pas quand nous voyons le courage et les efforts des profs les plus volontaires. Pas quand on constate les efforts des parents confinés avec leurs enfants pour qu’ils puissent progresser. Pas quand on assiste au désarroi des parents qui ne se sentent pas équipés ou disponibles pour accompagner la scolarité de leurs enfants. Pas quand nous sommes émus par le travail réalisé par nos élèves.

Madame et monsieur les ministres, merci ne pas interdire d'apprendre. Quel enseignant, quel parent ne se bat pas tous les jours pour motiver des élèves qui préfèrent Netflix ou les jeux vidéo aux équations, pour remuscler leur sens des initiatives scolaires ? L'un ou l'autre parvient même parfois à convaincre des élèves de se lancer seuls à la découverte de nouvelles matières. Nous ne vous demandons pas de lui remettre une médaille, juste de respecter son travail. Nous vous demandons de soutenir la communauté scolaire qui se mobilise pour organiser un enseignement à distance de qualité avec le souci du contact humain. Nous vous demandons d’oser l’apprentissage et non de l’interdire. Nous vous demandons d’être l’unité de commande de toutes ces initiatives et de veiller à ce que toutes les écoles participent à ce mouvement général de transformation pédagogique vers un enseignement à distance de qualité au bénéfice de tous nos élèves.

Une opinion de Jean Hindriks, économiste, de John Rizzo, spécialiste de l'apprentissage par l'informatique, et de l'enseignement mutuel (Ecole du Dialogue), et d'Itinera.