Le Portugal, nouveau paradis fiscal des pensionnés belges
S’installer à l’étranger à l’heure de la retraite, un choix de vie... Et un choix fiscal? Professeur à l’UCLouvain et spécialiste des pensions, Jean Hindriks note que le fisc belge et la justice sociale sont les grands perdants d’un tel choix: l’expert propose une réforme !
Chaque mois, la Belgique verse plus de 205.000 pensions à des personnes non domiciliées dans notre petit royaume, entre autres à près de 60.000 Belges partis s’installer à l’étranger (lire ci-dessous).
Exonéré de tout impôt
Une situation qui ne manque pas de faire réagir Jean Hindriks, président de l’École d’économie de l’UCLouvain et ancien expert du «Comité des retraites 2020-2040 », commission de réforme des pensions qu’avait mise sur pied, il y a dix ans, un certain Alexander De Croo, alors ministre des Pensions.
« Récemment, un ami retraité m’a fait savoir qu’il n’était plus résident belge et qu’en vertu des conventions internationales visant à empêcher la double imposition, il était devenu résident fiscal étranger exonéré de toute forme d’impôt en Belgique», dit-il. « Cela m’a interpellé car le manque à gagner pour l’État belge est flagrant. Imaginez. La Belgique encourage fiscalement la constitution d’une pension complémentaire et l’affilié quitte le pays à sa retraite, échappant ainsi à la récupération fiscale par l’État belge d’une partie de ces avantages. »
Selon le Bureau du Plan, les dépenses fiscales totales pour les pensions complémentaires sont estimées entre 3 et 3,5 milliards d’euros en 2018 selon les hypothèses retenues. « L’affilié perçoit en outre une pension légale versée par notre Service fédéral des pensions sans aucune forme de taxation à la source puisqu’il n’est plus résident fiscal belge », reprend M. Hindriks. « Sa pension est indexée sur base du coût de la vie en Belgique qui souvent diffère significativement de celui de son nouveau pays de résidence. »
Une concurrence fiscale s’est installée entre pays pour attirer chez soi, à coups d’avantages fiscaux, les retraités aisés. Même s’il a été obligé de revoir, en 2020, une législation jugée trop favorable par d’autres pays européens (les retraités étaient exemptés d’impôt sur leur pension pendant dix ans), le Portugal reste un endroit idéal pour prendre sa retraite et payer moins d’impôts.
Paradis portugais
« Concrètement, les pensions légales ne seront imposées au Portugal qu’à hauteur de 10 %, sans payer d’impôt dans l’État de la source », explique Jean Hindriks. « La seule exception concerne les pensions perçues par les anciens fonctionnaires qui sont soumises à une retenue à la source selon les taux progressifs de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, qu’ils soient ou non résidents fiscaux au Portugal. Les pensions complémentaires seraient également imposées à 10 % sur la totalité du capital. Le grand perdant de cette opération est le fisc belge. »
M. Hindriks y voit aussi un problème de justice sociale : « Le pensionné qui réside fiscalement en Belgique continue à financer en partie (via la TVA et l’impôt sur les personnes physiques) la pension perçue par le retraité belge qui a choisi de transférer sa résidence fiscale à l’étranger. Face à cette concurrence internationale pour les retraités, la Belgique est en situation de faiblesse tant du point de vue du climat que de sa fiscalité ou du coût de la vie. Dans ces conditions, il serait opportun de profiter de notre réforme fiscale pour remédier à ce problème qui vient aggraver les soucis de financement de nos pensions.»
Le raisonnement a déjà été traduit dans la législation en Finlande et en Suède. « Une alternative à la rupture avec les conventions de double imposition consisterait, à l’instar de ce qui est proposé par le G20 et l’OCDE pour la taxation minimum des multinationales, à permettre au pays d’origine de taxer la différence entre le taux d’imposition appliqué sur les pensions dans le pays de résidence et celui appliqué dans le pays d’origine », propose l’expert qui espère que notre gouvernement saura se saisir de cette question à l’occasion de « sa révolution fiscale ».
Réforme fiscale
Précisons néanmoins que ce qui a surtout fait réagir les pays précités, c’est l’exil fiscal de retraités très fortunés, ce qui n’est pas le cas de tous les pensionnés qui s’installent au Portugal ou ailleurs.
« Le rapport des experts, remis en juin 2022, (on parle bien ici de celui demandé par le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, en prélude de la réforme fiscale, NdlR), offre un cadre favorable à une plus grande égalité de traitement en matière d’impôt. Ce rapport reste cependant assez discret sur les questions de fiscalité internationale », pointe le professeur de l’UCLouvain.