Vers l'aperçu

Difficile gestion de l'etat providence

Dans notre petit royaume complexe, 11.200.000 habitants revendiquent sécurité, mobilité, justice, soins de santé, pension, allocations de chômage, allocations familiales, allocations d'invalidité, aide à l'intégration, etc. Tout cela, nous le considérons comme très normal, un automatisme, un droit. Cela nous est dû, point à la ligne.



Dans notre petit royaume complexe, 11.200.000 habitants revendiquent sécurité, mobilité, justice, soins de santé, pension, allocations de chômage, allocations familiales, allocations d’invalidité, pécule de vacances, crédits-temps, aide à la jeunesse, aide à l’intégration etc. Tout cela, nous le considérons comme très normal, un automatisme, un droit. Cela nous est dû, point à la ligne. La Belgique figure en bonne place parmi les pays aux dépenses publiques élevées, mais aussi parmi ceux qui redistribuent le plus. Honneur en soit rendu aux choix historiques en faveur de la solidarité, qui ont ajouté une dimension sociale profonde à l’option politico-démocratique.



Toute cette superstructure repose sur des prémisses simples mais essentielles. La prémisse économique est celle d’une croissance permanente, la prémisse sociétale étant celle d’une solide base de confiance publique. Ces deux facteurs s’érodent cependant progressivement, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’entreprise politique.



Commençons par les faits économiques : notre croissance économique n’est plus suffisante pour pouvoir couvrir correctement toutes ces revendications. Une croissance du PNB de 0 à 1,5% ne suffit évidemment pas pour financer une augmentation des dépenses de 4 à 6%. Pendant longtemps, nous avons voulu financer un rythme élevé de croissance des dépenses publiques élevées avec une croissance économique faible. Avec un taux de taxation supérieure à 50%, la solution pour l’état a été de s’endetter. Notre dette publique est déjà très lourde et elle a augmenté plus rapidement que dans l’ensemble de la zone euro sur les deux dernières année. Au niveau de la dette publique globale, les dépenses sont de 11% supérieures à nos rentrées, alors que l’UE demande de conserver une marge de 40% et que la moyenne européenne affiche un excédent de 11%. Ce score déplorable de la Belgique est la conséquence de longues années de mauvaise gestion. Car même durant les périodes où la croissance était plus forte, nous avons dépensé toujours plus, jamais moins. La responsabilité en incombe à tous les gouvernements qui se sont succédés depuis le tournant du siècle, et à tous les partis qui y ont participé, même ceux qui aujourd’hui se retrouvent dans les rangs de l’opposition.



Nous sommes certes incroyablement performants en matière de redistribution, mais il y a eu de très grosses lacunes dans la gestion des ‘pouvoirs publics’. Il n’est pas vraiment utile de se demander si la plus grande responsabilité repose auprès des autorités fédérales, régionales ou locales. Cette question divise et n’ajoute rien au débat.



Ces immenses lacunes plombent notre pays avec des chiffres élevés en matière de pauvreté (y compris chez les jeunes), des allocations réduites, des listes d’attente dans le secteur des soins, une aide sociale à la jeunesse et des services de santé mentale défaillants, un chômage élevé et de long terme, un appareil judiciaire au bord de l’implosion, un immobilisme tenace, des infrastructures

publiques vétustes, un enseignement en crise, etc. Les entrepreneurs et les entreprises, moteurs de notre prospérité, ont souvent le sentiment de devoir se battre contre des lourdeurs administratives, l’instabilité juridique et fiscale et la méfiance des pouvoirs publics.



Tout cela n’est pourtant pas dû à un manque de compréhension ou de connaissance des problèmes, puisque de très nombreux domaines de compétence politique ont fait l’objet d’analyses et de rapports. Seulement, ces analyses et rapports sont restés inutilisés, ou ont été contestés voire descendus en flammes (J. HINDRIKS, La bonne gestion publique, les conditions du succès, Itinera, 2015).



Prenons ensuite le deuxième facteur, celui de la confiance publique. C’est le pilier de la démocratie et de l’état-providence, mais cette confiance publique est en train de s’éroder. Nous Belges ne sommes pas vraiment réputés pour être très respectueux de l’autorité, et l’état-providence a progressivement ajouté une autre dimension à cet aspect : puisque les pouvoirs publics ont au fil des ans mis en place un véritable ‘supermarché’ de solutions pour toutes sortes de problèmes de vie, pourquoi ne pourrions-nous pas nous comporter exactement comme de vulgaires consommateurs ? C’est ainsi qu’est apparu le ‘citoyen revendicateur’, et ses revendications les plus diverses se sont vues honorées... La semaine dernière encore, la question des toilettes transgenres (sic !) a été largement débattue. Et quand le gouvernement s’avise de ne plus honorer ces revendications, ou de les honorer insuffisamment ou trop lentement, l’affaire se retrouve devant la justice. Notre justice croule sous la pression de demandes nouvelles caractéristiques de la judiciarisation de notre société. L’intérêt général a lentement mais sûrement été englouti dans un magma d’intérêts particuliers. Aujourd’hui, il y a des exonérations pour non moins de deux tiers de la base imposable (Ivan Van de Cloot, TAXSHIFT, 2015). Le moindre petit cas particulier a désormais son propre paragraphe fiscal, guichet public et fonctionnaire attitré.



 



Tout en souhaitant l’excellence, nous traitons ceux qui réussisent comme de la racaille. Nous attendons d’eux qu’ils défendent l’intérêt général de façon désintéressée, et qu’ils tendent l’autre joue alors qu’ils ressentent encore la brûlure de la première gifle



 



Tout cela est l’effroyable conséquence des revendications successives exigées à cor et à cri. De plus en plus de petits partis devenus minoritaires se sont retrouvés de plus en plus dépendants de l’arrière-ban du moment, et ce en dépit du fait qu’ils s’en étaient libérés financièrement, soit dit en passant avec de l’argent public. Leur indépendance financière aurait au moins pu leur donner l’indépendance intellectuelle et un certain courage politique. Hélas, ce ne fut pas le cas.



Certes, l’entreprise politique est quelque chose de difficile et de laborieux et nous avons besoin de beaucoup d’hommes et de femmes de raison, désireux de s’impliquer réellement dans la chose publique. Mais nous ne traitons pas correctement ces hommes et ces femmes, nous les dénigrons et les méprisons, nous les rétribuons plutôt trop peu que trop, et nous les soumettons au feu des critiques, et parfois au linchage médiatique. Tout en souhaitant l’excellence,, nous traitons ceux qui réussisent comme de la racaille. Nous attendons d’eux qu’ils défendent l’intérêt général de façon désintéressée, et qu’ils tendent l’autre joue alors qu’ils ressentent encore la brûlure de la première gifle. Cela aussi, c’est une rupture de confiance que nous ne pouvons pas nous permettre.

Une société civile au sens large du terme pourrait faire entendre avec autorité la voix ‘des hommes et des femmes pour qui nous le faisons’, et ancrer la confiance. Historiquement, c’est le

mérite inestimable de ces nombreuses organisations louées à l’origine pour leur apport dans la ‘préparation’ politique. Hélas, en migrant vers la ‘mise en oeuvre’ politique, ces organisations ont commencé à échouer dans leur mission première : entretenir la confiance publique, faire des actions collectives avec leurs membres, promouvoir l’implication et la citoyenneté active. Elles sont malheureusement devenues des boutiques d’intérêts particuliers, des gardiennes d’un passé et d’intérêts acquis, irréversibles.



Ces trois dynamiques que nous venons de passer en revue requièrent un changement fondamental si, dans les turbulences économiques que nous traversons aujourd’hui, nous voulons réinventer une démocratie vivante et une prospérité qui inclut tout le monde. Pour cela, il faut une société civile (organisations syndicales, organisations patronales, mutuelles etc.) capable de retrouver son rôle historique de force de changement et de laisser derrière elle le confort du rôle de gardien d’un passé révolu. La plus grande défaillance est celle d’un avenir qui n’a pas vraiment droit au chapitre : une solidarité vieillissante qui se fait sans les jeunes et parfois contre les jeunes. L’avenir des 100.000 enfants qui naissent aujourd’hui, dont 20% en Flandre dans une famille pauvre, et dont chacun a sur sa tête une dette publique de 40.000,- €. Une dette qui augmente en permanence. Ils ne votent pas et ne manifestent pas, mais leurs parents sont-ils bien certains de préparer correctement leur avenir, sur le véritable long terme ?



Un état-providence a précisément besoin de leadership social et politique, il a besoin de se rationaliser pour ne pas rationner. Diriger c’est souvent aussi dire non, diriger c’est aussi expliquer, informer et mettre en contexte. Diriger c’est voir plus loin, quelques générations plus loin et pas seulement jusqu’aux gros titres des journaux télévisés du soir ou jusqu’à la une des quotidiens. Avec sa résistance croissante au changement, la société civile est devenue une partie du problème. Elle doit retrouver l’ambition de devenir une partie de la solution. Le vivre-ensemble exige des citoyens engagés qui osent aussi s’impliquer dans la société et sont fiers de prendre leurs responsabilités pour les autres.