Pauvreté, des chiffres en trompent l'oeil
Statbel vient de sortir ses dernières statistiques : 2,199 millions de Belges connaissent un risque de pauvreté ou d’exclusion.
Les chiffres calculés sur les revenus 2020 sont présentés de manière positive : ce risque de pauvreté ou d’exclusion est passé de 20,3 à 19,3% de la population, le risque de pauvreté monétaire passant lui de 14,1 à 13,1%.
Le phénomène est expliqué par un effet de la pandémie sur les revenus et par l’intervention massive des pouvoirs publics. Ainsi le seuil de pauvreté n’a pas augmenté comme d’habitude, mais est resté plutôt stable. Cela tient au fait que le seuil est lié à la médiane des revenus de l’ensemble de la population et que ces revenus ont peu bougé dans leur globalité : stabilité chez les salariés, baisse de l’ordre de 20% chez les indépendants, augmentation du nombre des allocations de soutien et parfois indexation de leur montant.
Statbel reconnaît que la situation a été difficile pour une part importante des Belges : « Si nous ne tenions compte d’aucune allocation hormis les pensions, 27,8% de la population aurait couru un risque de pauvreté en 2021 contre 25,6% en 2020. Cela montre que les mesures financières prises par les autorités publiques pendant la pandémie ont protégé la population des risques de pauvreté ». Certes. Mais, en se réjouissant de l’efficacité des mesures de protection, on fait l’impasse sur un angle mort des statistiques.
En effet, les revenus du travail informel ou des jeunes jobistes ont largement chuté pendant les confinements. Or, ils représentent une part importante des ressources parmi certaines catégories des populations fragiles et précaires (notamment les jeunes). Avec la mise à l’arrêt de l’Horeca et de la construction, notamment, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ont perdu tout ou partie de leurs moyens d’existence. C’est ce qui qui échappe au radar officiel, mais que les acteurs de terrain ont constaté par l’augmentation des demandes aux banques alimentaires, aux associations diverses ou aux CPAS.
Les chiffres officiels de la pauvreté sont en outre basés sur un seuil nominal de pauvreté laissé inchangé durant la crise alors que le pouvoir d'achat a considérablement baissé sous l'effet de la flambée des prix. Si l'on utilise un seuil "réel" de pauvreté qui tient compte de cette inflation subie plus lourdement par les bas revenus, on obtient une pauvreté réelle en hausse même si la pauvreté nominale reste constante.
Sans changement politique majeur et structurel en matière de lutte contre la pauvreté, et notamment pour préserver le pouvoir d'achat des familles modestes face à la flambé des prix, les chiffres de la pauvreté risquent de flamber rapidement dans notre pays.
La pauvreté, ce n’est plus l’affaire des autres. Les derniers chiffres officiels sur la pauvreté nominale pourraient nous le faire oublier. Mais la pauvreté réelle est bien plus menaçante comme l'indique notre étude.