Un trampoline pour notre marché du travail
Notre sécurité sociale est parfois comparée à un hamac. Certes, cette représentation surestime le confort qu’offrent l’aide sociale et les allocations de chômage, mais il est indéniable que notre pays connaît une trop grande inactivité subventionnée. Au plus fort de la crise sanitaire, nous comptions quelque 1,2 million de chômeurs temporaires – mais aucun d’entre eux n’a bénéficié d’un accompagnement structurel. Une occasion manquée ! Nous avons besoin d’un trampoline pour notre marché du travail, qui amortit la chute et permet de rebondir directement vers un autre emploi. Avec les mesures de sécurité nécessaires afin que personne ne s’écrase au sol, mais qui a pour objectif premier de stimuler, renforcer et soutenir.
Le principe dominant doit être que chaque forme d’inactivité (économique) aille de pair avec des programmes adaptés d’accompagnement, de formation et de soutien. Leur mise en forme dépendra du type d’inactivité et du profil du citoyen concerné – éventuels obstacles à l’accession au marché du travail, connaissances et compétences, centres d’intérêt, situation familiale… L’assurance-chômage a initialement été conçue pour amortir le choc au niveau des revenus, mais cette base ne se prête pas à la politique de marché du travail émancipatrice, fondée sur l’activation, dont nous avons besoin aujourd’hui.
Avant que la crise sanitaire frappe, la Belgique comptait plus de personnes en « incapacité de travail de longue durée » que de chômeurs, et notre marché du travail était le deuxième le plus en pénurie d’Europe. Que le spectre de la prépension vienne à nouveau planer au-dessus de notre économie témoigne du pouvoir de séduction d’une telle mesure, mais nous devons y résister. Non seulement en raison de son coût budgétaire, mais aussi et surtout parce qu’avec la diminution de notre population active, nous aurons besoin de chaque talent quand l’économie repartira de l’avant. Nous devons aider chaque talent à se développer et à s’épanouir au lieu de renoncer aux travailleurs « plus âgés » au motif qu’ils seraient vieux et usés. Il est évidemment impossible d’un point de vue intellectuel et physique de continuer à exercer certaines fonctions jusqu’à la pension, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’autres possibilités d’emploi. Pour les malades de longue durée et les moins valides aussi – les personnes en « incapacité de travail » mentionnées ci-dessus –, il faut se concentrer non sur ce qui n’est plus ou pas encore possible, mais sur les capacités présentes. Quelles connaissances et compétences possèdent-elles ou peuvent-elles acquérir pour continuer à participer à notre société sur le plan économique, social et démocratique ?
Mettre un terme à l’inactivité subventionnée implique également de porter un regard critique sur le chômage temporaire et consorts. Au plus fort de la crise, 1,2 million de Belges étaient en chômage temporaire, et 20% de ces chômeurs temporaires craignaient de perdre leur emploi. Pourtant, nos différents services de l’emploi – VDAB, FOREM et Actiris – n’ont su que fin juin qui étaient ces 1,2 million de Belges. Si on y ajoute les quelque 351.000 à 384.000 dossiers de droit passerelle – équivalent du chômage temporaire pour les indépendants – recensés entre mars et juin, nous obtenons un actif sur trois dans notre pays !
Nous avons ainsi manqué une occasion unique de mettre en œuvre le transfert de connaissances dont a tant besoin notre marché du travail. Certains employeurs ont proposé des formations en ligne, certains travailleurs ont pris des cours en ligne ou adopté d’autres instruments de leur propre initiative. Mais aucun support structurel n’a été mis en place, et ceux qui participaient le moins aux formations permanentes alors qu’ils en avaient le plus besoin ne sont sans doute pas ceux qui se sont spontanément mis à apprendre ou à étudier.
Un accompagnement structurel aurait pu déclencher un transfert de connaissances, aurait pu apporter la formation continuée ou la reconversion professionnelle nécessaire à nos citoyens actifs dans les secteurs qui enregistrent une contraction de leurs activités ou qui presteront encore longtemps en deçà de leur potentiel. Pensez aux compétences numériques, à une réorientation (temporaire) dans le secteur aéronautique ou culturel et dans les professions de contact. Il existe des instruments de carrière qui subdivisent les fonctions en tâches et compétences très spécifiques et peuvent ainsi relier par un ensemble de compétences similaires des professions qui n’ont apparemment aucun rapport. Il est alors possible d’acquérir les compétences manquantes dans le cadre d’un e-learning, de l’enseignement du soir, de l’enseignement en alternance pour adultes, d’une formation sur le tas… ou d’une combinaison de tout ce qui précède en fonction du profil et donc du savoir-faire déjà présent, des connaissances et compétences qui doivent encore être acquises et de l’objectif visé. Il va de soi qu’une réorientation temporaire ne peut nécessiter plusieurs mois de formation, alors qu’une formation de longue durée permettant de passer d’un secteur en difficulté à un secteur de croissance peut être utile.
Le chômage temporaire est également l’occasion par excellence de réfléchir à des « stages de découverte » dans des entreprises ou des secteurs encore actifs, ou de lancer des expériences avec des pools de travailleurs ou de transition. Nos fonds sectoriels gérés au niveau paritaire sont sans doute les mieux placés pour concrétiser et faciliter une telle idée, idéalement dans des projets intersectoriels. En effet, si l’ensemble du secteur est en difficulté, connaît une contraction structurelle ou simplement ne peut fonctionner en toute sécurité sans vaccin, une mobilité intrasectorielle n’offrira aucune plus-value.
Un travail bénévole peut également être une occupation précieuse et contribuer à l’employabilité durable du citoyen. Il ne s’agit pas uniquement d’accumuler de nouvelles connaissances et compétences : le bénévolat permet également de lutter contre la discrimination statistique sur le marché du travail.
Ne buttons pas deux fois sur la même pierre et tirons des enseignements de la crise. De la crise sanitaire, mais aussi d’une crise du marché du travail invisible qui se propageait déjà avant l’épidémie.
Le chômage temporaire a été prolongé pour certains secteurs, et une nouvelle vague est attendue ou crainte selon la personne que l’on interroge. Créez une politique activante, qui peut constituer une bouée de sauvetage. Même ceux qui s’attendent à retrouver leur emploi chez le même employeur ont tout intérêt à se constituer un profil plus durable sur le marché du travail.
De plus, le chômage temporaire n’est qu’une forme d’inactivité subventionnée, et peut-être pas la plus problématique en raison de son caractère intrinsèquement temporaire. Nous avons déjà abordé la prépension, mais nos critiques sont également plus larges. En cas de licenciement, l’accent ne doit pas être placé sur l’argent, mais sur les possibilités de transition professionnelle. Une assurance-chômage qui amortit les chocs est utile, mais elle sera encore plus efficace si elle favorise la transition vers un autre emploi ou une formation qui offre des perspectives d’emploi.
Le droit du licenciement doit devenir un droit au retour à l’emploi, un trampoline qui amortit la chute et permet de rebondir. Pas un poids qui cloue le bénéficiaire au sol. L’accent doit être placé sur le reclassement professionnel, pas sur l’écartement. Cela exige une réforme de la loi Renault pour les restructurations de grande ampleur, mais il est également nécessaire de modifier la procédure de licenciements à petite échelle. Il est par exemple déjà possible d’intégrer jusqu’à un tiers de l’indemnité de licenciement dans un budget formation, avec un traitement fiscal favorable. Cela doit au moins devenir la norme (opt-out au lieu d’opt-in) et peut même être (en partie) obligatoire. On peut également imaginer une prise en compte des efforts de formation de l’employeur dans le calcul de l’indemnité de licenciement et de reclassement professionnel.
Le principe dominant doit être que chaque forme d’inactivité (économique) aille de pair avec des programmes adaptés d’accompagnement, de formation et de soutien. Leur mise en forme dépendra du type d’inactivité et du profil du citoyen concerné – éventuels obstacles à l’accession au marché du travail, connaissances et compétences, centres d’intérêt, situation familiale… L’assurance-chômage a initialement été conçue pour amortir le choc au niveau des revenus, mais cette base ne se prête pas à la politique de marché du travail émancipatrice, fondée sur l’activation, dont nous avons besoin aujourd’hui.
Chaque talent compte
Avant que la crise sanitaire frappe, la Belgique comptait plus de personnes en « incapacité de travail de longue durée » que de chômeurs, et notre marché du travail était le deuxième le plus en pénurie d’Europe. Que le spectre de la prépension vienne à nouveau planer au-dessus de notre économie témoigne du pouvoir de séduction d’une telle mesure, mais nous devons y résister. Non seulement en raison de son coût budgétaire, mais aussi et surtout parce qu’avec la diminution de notre population active, nous aurons besoin de chaque talent quand l’économie repartira de l’avant. Nous devons aider chaque talent à se développer et à s’épanouir au lieu de renoncer aux travailleurs « plus âgés » au motif qu’ils seraient vieux et usés. Il est évidemment impossible d’un point de vue intellectuel et physique de continuer à exercer certaines fonctions jusqu’à la pension, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’autres possibilités d’emploi. Pour les malades de longue durée et les moins valides aussi – les personnes en « incapacité de travail » mentionnées ci-dessus –, il faut se concentrer non sur ce qui n’est plus ou pas encore possible, mais sur les capacités présentes. Quelles connaissances et compétences possèdent-elles ou peuvent-elles acquérir pour continuer à participer à notre société sur le plan économique, social et démocratique ?
Mettre un terme à l’inactivité subventionnée implique également de porter un regard critique sur le chômage temporaire et consorts. Au plus fort de la crise, 1,2 million de Belges étaient en chômage temporaire, et 20% de ces chômeurs temporaires craignaient de perdre leur emploi. Pourtant, nos différents services de l’emploi – VDAB, FOREM et Actiris – n’ont su que fin juin qui étaient ces 1,2 million de Belges. Si on y ajoute les quelque 351.000 à 384.000 dossiers de droit passerelle – équivalent du chômage temporaire pour les indépendants – recensés entre mars et juin, nous obtenons un actif sur trois dans notre pays !
Nous avons ainsi manqué une occasion unique de mettre en œuvre le transfert de connaissances dont a tant besoin notre marché du travail. Certains employeurs ont proposé des formations en ligne, certains travailleurs ont pris des cours en ligne ou adopté d’autres instruments de leur propre initiative. Mais aucun support structurel n’a été mis en place, et ceux qui participaient le moins aux formations permanentes alors qu’ils en avaient le plus besoin ne sont sans doute pas ceux qui se sont spontanément mis à apprendre ou à étudier.
Du chômage temporaire à un changement d’activité
Un accompagnement structurel aurait pu déclencher un transfert de connaissances, aurait pu apporter la formation continuée ou la reconversion professionnelle nécessaire à nos citoyens actifs dans les secteurs qui enregistrent une contraction de leurs activités ou qui presteront encore longtemps en deçà de leur potentiel. Pensez aux compétences numériques, à une réorientation (temporaire) dans le secteur aéronautique ou culturel et dans les professions de contact. Il existe des instruments de carrière qui subdivisent les fonctions en tâches et compétences très spécifiques et peuvent ainsi relier par un ensemble de compétences similaires des professions qui n’ont apparemment aucun rapport. Il est alors possible d’acquérir les compétences manquantes dans le cadre d’un e-learning, de l’enseignement du soir, de l’enseignement en alternance pour adultes, d’une formation sur le tas… ou d’une combinaison de tout ce qui précède en fonction du profil et donc du savoir-faire déjà présent, des connaissances et compétences qui doivent encore être acquises et de l’objectif visé. Il va de soi qu’une réorientation temporaire ne peut nécessiter plusieurs mois de formation, alors qu’une formation de longue durée permettant de passer d’un secteur en difficulté à un secteur de croissance peut être utile.
Le chômage temporaire est également l’occasion par excellence de réfléchir à des « stages de découverte » dans des entreprises ou des secteurs encore actifs, ou de lancer des expériences avec des pools de travailleurs ou de transition. Nos fonds sectoriels gérés au niveau paritaire sont sans doute les mieux placés pour concrétiser et faciliter une telle idée, idéalement dans des projets intersectoriels. En effet, si l’ensemble du secteur est en difficulté, connaît une contraction structurelle ou simplement ne peut fonctionner en toute sécurité sans vaccin, une mobilité intrasectorielle n’offrira aucune plus-value.
Un travail bénévole peut également être une occupation précieuse et contribuer à l’employabilité durable du citoyen. Il ne s’agit pas uniquement d’accumuler de nouvelles connaissances et compétences : le bénévolat permet également de lutter contre la discrimination statistique sur le marché du travail.
Deuxième chance
Ne buttons pas deux fois sur la même pierre et tirons des enseignements de la crise. De la crise sanitaire, mais aussi d’une crise du marché du travail invisible qui se propageait déjà avant l’épidémie.
Le chômage temporaire a été prolongé pour certains secteurs, et une nouvelle vague est attendue ou crainte selon la personne que l’on interroge. Créez une politique activante, qui peut constituer une bouée de sauvetage. Même ceux qui s’attendent à retrouver leur emploi chez le même employeur ont tout intérêt à se constituer un profil plus durable sur le marché du travail.
De plus, le chômage temporaire n’est qu’une forme d’inactivité subventionnée, et peut-être pas la plus problématique en raison de son caractère intrinsèquement temporaire. Nous avons déjà abordé la prépension, mais nos critiques sont également plus larges. En cas de licenciement, l’accent ne doit pas être placé sur l’argent, mais sur les possibilités de transition professionnelle. Une assurance-chômage qui amortit les chocs est utile, mais elle sera encore plus efficace si elle favorise la transition vers un autre emploi ou une formation qui offre des perspectives d’emploi.
Le droit du licenciement doit devenir un droit au retour à l’emploi, un trampoline qui amortit la chute et permet de rebondir. Pas un poids qui cloue le bénéficiaire au sol. L’accent doit être placé sur le reclassement professionnel, pas sur l’écartement. Cela exige une réforme de la loi Renault pour les restructurations de grande ampleur, mais il est également nécessaire de modifier la procédure de licenciements à petite échelle. Il est par exemple déjà possible d’intégrer jusqu’à un tiers de l’indemnité de licenciement dans un budget formation, avec un traitement fiscal favorable. Cela doit au moins devenir la norme (opt-out au lieu d’opt-in) et peut même être (en partie) obligatoire. On peut également imaginer une prise en compte des efforts de formation de l’employeur dans le calcul de l’indemnité de licenciement et de reclassement professionnel.