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Margaret Thatcher, le combat d’Antigone

Ronald Reagan disait de Margaret Thatcher qu’elle était « the best man in England ». Viriliser le personnage en raison de ses qualités qui seraient autant de mâles vertus est une erreur fréquente : en réalité, cette figure politique exceptionnelle - sans doute l’une des plus influentes du XXèmesiècle - était, en un certain sens, authentiquement féminine. Par maints aspects, elle rappelle Antigone. Ce qui fait toute la beauté du combat d’Antigone, c’est qu’elle refuse toute forme de compromis et que, sûre de son bon droit, elle accepte de défendre sa cause jusqu’à la mort si nécessaire. Thatcher qui rentre en lutte ouverte contre les terroristes de l’IRA et qui, quelques heures après l’attentat de l’hôtel Brighton dont elle réchappa de justesse en 1984, prononce un discours avec une détermination et un sang-froid universellement admirés, c’est un peu comme Jeanne d’Arc qui charge la cavalerie anglaise, Indira Gandhi qui brave les autonomistes Sikhs ou Aung Sang Suu Kyi qui affronte la junte birmane.



Jamais, elle ne céda au chantage. Quand des terroristes de l’IRA emprisonnés à la prison de Maze entamèrent une grève de la faim, elle respecta ce choix mais ne toléra pas que l’exercice de cette liberté ne vienne empiéter sur la sienne propre. Quel homme politique aujourd’hui parviendrait, assailli de pétitions en provenance du monde entier, laisser, durant 66 jours, mourir 10 grévistes de la faim sans céder à la moindre de leur revendications ? Mais, finalement, Margaret Thatcher était-elle réellement une politicienne ? Cette question, c’est celle de la différence entre la figure du politicien et celle de l’homme d’Etat. Soucieux de plaire et de rassembler, un politicien cultive le sens du compromis. Fin connaisseur des rapports de force, interactions et équilibres au sein de la faune et de la flore de l’écosystème politique, un politicien est souvent pusillanime car il déteste les bouleversements et redoute les effets boomerang. Les yeux rivés sur les sondages et les articles de presse, un politicien est souvent aussi versatile et ondoyant que l’opinion publique. Or, Margaret Thatcher était intransigeante, courageuse et femme de principes. En cela, elle appartient à cette race - aussi précieuse que rare - des hommes d’Etat.



A propos du général De Gaulle, Jean-François Revel écrivait ceci : « Agir est fort rare. La plupart de nos gouvernants veulent être des hommes de pouvoir sans être des hommes d'action (...) la plupart des hommes politiques ont horreur de se décider. Ils détestent le risque (...). Le mauvais dirigeant veut toujours faire une chose et son contraire à la fois, de manière à pouvoir nier, plus tard, avoir pris tel ou tel parti, qui se sera révélé mauvais ». Margaret Thatcher était une femme d’action. Ceci explique à la fois l’admiration et la haine qu’elle suscita. En effet, il n’y a rien de plus ingrat et de plus impopulaire pour un mandataire en exercice que de faire prévaloir en toute circonstance l’intérêt général. L’intérêt général authentique, c’est d’assurer l’application des règles générales et abstraites, c’est-à-dire de normes qui, en raison de leur universalité, ne lèsent ni ne favorisent personne. On appelle cela l’Etat de droit. Pourquoi faire prévaloir l’intérêt général est-il impopulaire ? Car cela revient à dire non à tous ceux qui vous sollicitent quotidiennement pour que vous défendiez leur intérêt particulier. Ne cherchez pas plus loin la haine que continuent à vouer à Thatcher ces associations qui ont coutume de faire passer pour l’intérêt général les exigences des intérêts corporatistes et égoïstes d’un secteur socio-professionnel déterminé et qu’on appelle les syndicats.



Néanmoins, hommes d’Etat et politiciens sont complémentaires. Nul n’est tenu d’être exceptionnel et la politique serait impossible sans la capacité de dialoguer et d’équilibrer les points de vue. Pas de politique sans politiciens. Mais, il est également important que, de temps à autres, surgisse une figure d’exception qui, dans des circonstances de crise, puisse opérer des réformes en profondeur et entraîne dans son sillage toute une série de réformateurs. Pas de politique sans hommes d’Etat.



L’histoire politique est particulièrement avare en personnalités libérales. Margaret Thatcher était l’une d’elles. Son action est la matérialisation, sur le terrain politique, économique et social, des idées du Prix Nobel Friedrich von Hayek. Elle a redressé l’économie de son pays. Il y a environ 40 ans, l'Angleterre se trouvait dans une situation relativement comparable à celle de la Grèce aujourd'hui. En 1975, le gouvernement travailliste avait même dû faire appel au FMI pour un montant de 3,9 milliards de dollars, somme considérable à l'époque. L'inflation était de 25% ! Jusqu'à ce que Margaret Thatcher accède au pouvoir en 1979 et fasse passer - en dix ans - le taux de chômage de 11,8 à 6,8%. On souligne souvent le fait que, durant cette période, les écarts de fortune se sont creusés, ce qui est vrai, en « oubliant » de préciser que le niveau général a fortement augmenté (la pauvreté est relative et évolutive car elle se calcule sur le salaire moyen). Dit plus simplement : si l’écart de richesse se creuse entre les pauvres et les riches, est-ce réellement un problème si les pauvres s’enrichissent ? Ceux qui le pensent sont souvent ceux qui estiment que l’inégalité socio-économique doit être combattue par tous les moyens même si cela revient à entraver l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres.



En Belgique, nous avons encore pu constater, il y a quelques mois, la relative impuissance des pouvoirs publics à contrecarrer les actions du front commun syndical visant à perturber voire entraver le déplacement des personnes se rendant à leur travail. Les violations de ces libertés constitutionnelles et du droit pénal en général restent la plupart du temps impunies. Dans l’Angleterre pré-tatchérienne, la situation était pire encore. La puissance des syndicats était telle qu’on les créditait du pouvoir de faire et défaire les gouvernements démocratiques. C’est la grève des mineurs de 1973 et 1974 qui avait entraîné la chute du gouvernement conservateur d’Edward Heat en 1974. « Le règne de la canaille s’était substitué au règne de la loi ».



Thatcher - contrevérité largement propagée - ne s’est jamais opposé aux mineurs à proprement parler. Elle a affronté le NUM (National Union Mineworkers, le syndicat national des Mineurs) dont le dirigeant marxiste Arthur Scargill déclara unilatéralement, sans procéder au vote des mineurs, la mémorable grève qui s’éternisaune année durant(de 1984 à 1985). Les élections qui parvinrent à se tenir par la suite dans de larges bassins houillers prouvèrent que, dans une large majorité, les mineurs étaient opposés à la grève. Sur ce dossier, Margaret Thatcher avait le soutien du parti travailliste et du NCB (Conseil National des Charbonnages) qui désirait fermer les puits non rentables pour refaire du secteur minier une activité compétitive et florissante. Mais Scargill disposait de 12.000 piquets volants et réussit à entraver durablement l’exploitation des mines. Au milieu d’affrontements d’une rare violence qui firent plusieurs morts, il fallut toute la détermination de Thatcher et de la police pour faire appliquer la loi et escorter les non-grévistes, parfois même en fourgons blindés, sur leur lieu de travail. Après un an, le NUM capitula sans avoir obtenu quoi que ce soit. C’en était fini de la tyrannie syndicaliste.



Héroïne de la liberté, Margaret Thatcher a inévitablement, durant ses onze années de règne, commis plusieurs erreurs. L’opération des Malouines a été un incomparable succès qui, entraînant la chute de la dictature argentine, a montré à la face du monde (et aux Soviétiques en particulier) la détermination de l’Occident à réagir militairement. Durant cette campagne, Thatcher reçut l’appui logistique du général Pinochet et lui témoigna toujours de la reconnaissance. Cette complaisance inacceptable a accrédité l’idée fausse d’une proximité idéologique entre le libéralisme et cette dictature abominable qui, en dépit de sa conversion progressive aux idées économiques libérales des « Chicago Boys » (élèves de Friedman), reste profondément condamnable.



Une autre erreur, largement méconnue et aux conséquences dramatiques pour l’économie européenne, fut le soutien déterminant de Margaret Thatcher aux théories du réchauffement climatique. Subissant de plein fouet le choc pétrolier des années 70, préoccupée par la sécurité énergétique de la Grande-Bretagne et désireuse de ne pas laisser le pays se faire prendre en otage par les syndicats du charbonnage anglais, Thatcher a estimé que la thèse, minoritaire à l’époque, du réchauffement climatique d’origine anthropique était un argument supplémentaire en faveur du nucléairedont elle était une partisane inconditionnelle (elle contribua d’ailleurs activement à la création du CERN). Elle a sommé la Royal Society de prouver un lien existant entre température et CO2 etl’argent public a coulé à flots pour financer la recherche, le développement et les institutions en tout genre qui ont proliféré à condition de valider les conclusions qu’on leur exigeait de tirer. Elle chargea le prestigieux MET Office britannique de mettre en place une unité de recherche climatique. Cette unité fut la base d’une nouvelle commission internationale qu’on appellera plus tard… l’IPPC : le GIEC.



Cette faute morale impardonnable (avoir perverti le fonctionnement de la science pour des raisons politiques) a ceci d’éminemment paradoxal que l’une des plus grandes figures libérales du siècle passé est indirectement à l’origine des législations et règlementations énergétiques antilibérales qui sapent actuellement l’économie européenne.



Monumentale dans ses succès comme dans ses erreurs, Margaret Thatcher qui s’est éteinte ce lundi, fut l’un de ces grandioses artisans de l’Etat (« Statecraft ») qui, deux ou trois fois par siècle, réforment en profondeur un pays. On parle souvent de « l’ère Reagan » ou de « l’ère Thatcher » mais jamais on ne parlera de « l’ère Major », de « l’ère Blair », de « l’ère Chirac », de « l’ère Sarkozy » et, encore moins, de « l’ère Hollande ».