Vers l'aperçu

L’interminable discussion sur les coûts salariaux

"Il y a peu de jobs créés en Belgique, car ils coûtent trop cher", a insisté la Banque Nationale dans son  rapport annuel, soulignant que cette réalité pesait surtout sur les profils les moins qualifiés dont la productivité est moins élevée.  Tant qu’il existera des employeurs et des travailleurs, il y aura des discussions sur les salaires. Tant qu’il existera une autorité, cette discussion deviendra encore plus âpre parce que le coût salarial total doit être payé par l’employeur alors que le travailleur n’en reçoit qu’une fraction. Pour un salaire net de 1500 euros, l’employeur doit débourser 2800 euros. Pour un salaire net de 3000 euros, le montant brut s’élève à 7550 euros. Les économistes parlent dans le premier cas de charges salariales de 46 % et dans le deuxième cas de charges de 60 %. Dans de nombreux pays, on placerait instantanément la Belgique dans la catégorie des économies planifiées, vu sa négociation salariale centrale.



Notre modèle social a rendu service par le passé. Il en a découlé une tradition d’accords salariaux. Le Conseil central de l’Economie (CCE) a justement été créé pour éviter les discussions sans fin sur les chiffres. Il apparaît toutefois aujourd’hui qu’il faut mobiliser toute une armée de conseillers à la Banque nationale, au Bureau du Plan et ailleurs, parce qu’on ne s’en sort pas malgré tout. Au lieu d’obtenir enfin une analyse largement soutenue avec le rapport des experts, il semble que le fossé se creuse encore à cause de ce rapport. Alors qu’il existait avant l’apparition de ce rapport un quasi-consensus sur l’existence d’un handicap salarial, celui-ci est aujourd’hui tombé. D’une discussion sur un intervalle limité autour d’un dérapage frôlant les 3 % de la massa salariale, l'étalement qui fait actuellement l'objet de la discussion va de 0,5 % (syndicats) à 16 % (employeurs).



L’attitude scientifique consiste à dire que plus nous en savons, mieux c’est. Ce n’est pas toujours le cas de la logique politique. Le fait de dresser la carte des subventions salariales et des différentes interprétations qui y sont données semble justement compliquer la discussion à l’heure actuelle.



Si nous avions exécuté ne serait-ce que la loi sur la compétitivité, nous serions pourtant déjà bien plus avancés. Selon cette norme stricte et l’interprétation qui y a été donnée par l’organe créé spécialement du Conseil central de l’Economie, nous observons un dérapage de 2,9 %. La loi stipule qu’en cas de dérapage, celui-ci doit être corrigé. Il est quand même grave qu’on ne parvienne même pas à faire cela ?



Il est quand même grave qu’on trouve toujours acceptable de se prévaloir de la haute productivité ? Est-ce que l’on se rend compte de ce que cela signifie : avec les investissements permettant d’économiser la main-d’œuvre (par exemple la rationalisation via l’automatisation), on a économisé sur le facteur de production du travail, qui est ainsi devenu trop cher. Si on a pour objectif de mettre de nouveau plus de gens au travail, il faudra combler tout l'abîme, et non seulement le fossé « corrigé par la production ». Si seulement la concertation sociale prouvait à nouveau sa raison d’être en 2015 en infléchissant la pratique des primes d’ancienneté tueuses d'emploi. En théorie, nous avons des organes de concertation nationaux pour qu’ils tiennent compte des effets macro de la négociation salariale. Alors qu’ils le fassent.



 



Une autre voie



Nous aurions aussi pu emprunter un autre chemin. Le point de départ logique ne concerne pas forcément l’évolution des coûts salariaux, mais la réalité économique sur le terrain. Personne ne peut nier la perte de part de marché de nos exportateurs. Personne ne peut contester que notre balance commerciale a glissé par rapport à il y a vingt ans. Afin de maintenir notre structure sociale, il faut créer 400.000 emplois supplémentaires d’ici 2020. Un calcul objectif démontre que pour que la croissance connaisse un plus fort coefficient de travail et donc pour rehausser le taux d’emploi au niveau requis, une réduction du coût salarial de 2,9% n’est qu’une première étape. Il ne semble toutefois pas évident pour ceux qui pensent essentiellement en termes juridiques de suivre la voie de la réalité économique.



 



Vision globale



J’argumente depuis presque dix ans déjà que les réductions des charges n’exercent pas une influence favorable sur la compétitivité si elles sont neutralisées par des augmentations de salaire. Nous pouvons uniquement rattraper notre retard si les réductions des charges sont gardées en dehors de la norme salariale. Fondamentalement, cette analyse n’a pas encore percé.



En fin de compte, tout est lié. Si nous voulons vraiment offrir un avenir économique à nos enfants, nous avons besoin d’une économie compétitive. Nous parlons alors des réformes indispensables pour notre pays, allant de l’enseignement et de l’intégration aux propositions de compétitivité en passant par une administration plus efficace et un régime fiscal plus judicieux.