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Les classes mixtes ou l’impuissance apprise

Notre système scolaire paraît bien inefficace. Et l’hétérogénéité au sein des classes pourrait en être l’une des causes. Les élèves en difficultés, qui auraient dû en être les premiers bénéficiaires, en sont les grands perdants.  Une opinion de Mattéo Godin, Alexandre Simons, Jean Hindriks (Itinera Institute).



En Communauté française, les classes de premier cycle de l’enseignement secondaire rassemblent des élèves de niveaux très différents. Le décret Missions de 1997 définit la différenciation comme la pédagogie à adopter pour faire face à ces différences de niveaux. Cette méthode consiste à diversifier les manières d’enseigner au sein d’une même classe pour rencontrer le style et les capacités cognitives de tous les élèves. Pourtant, notre système d’éducation va mal et la situation s’aggrave. Entre 2003 et 2013 les performances en mathématiques des élèves francophones ont diminué alors que le coût moyen par élève a augmenté de 7 pour cent en Fédération Wallonie-Bruxelles. Par ailleurs, les résultats de la Communauté française se situent sous la moyenne de l’OCDE. Notre système scolaire paraît dès lors bien inefficace. Et l’hétérogénéité au sein des classes pourrait en être l’une des causes.



Effets de pairs



Les chercheurs ont longtemps cherché à mesurer l’impact des interactions entre élèves de différents niveaux. Ce sont les effets de pairs. Différents modèles théoriques émanent de ces recherches. Certains d’entre eux y voient des effets positifs. Ils suggèrent ainsi que les différences de niveaux au sein d’une classe poussent les élèves à voir les problèmes sous des angles différents, favorisant leur apprentissage. Ils considèrent encore que les meilleurs éléments du groupe génèrent des externalités positives sur l’ensemble des membres.



A l’inverse, d’autres décrivent des effets néfastes. Les externalités négatives qui émanent des éléments faibles prennent ainsi le dessus et nuisent à l’ensemble du groupe. Ici, la classe homogène favorise l’apprentissage car elle permet l’existence d’un rythme commun au groupe. L’homogénéité permet à l’enseignant de mettre en place une pédagogie ciblée. Une étude empirique récemment publiée conforte cette théorie dite du "boutique model" pour les effets de pairs. Dans cette étude, les auteurs montrent que les élèves en difficulté au sein d’une classe hétérogène influencent négativement le niveau de la classe car ils nécessitent une attention particulière de la part du professeur. Le professeur dispersé dans son travail ne parvient alors plus à donner l’attention nécessaire aux autres élèves.



Enseignants dépassés



Ces études proposent des effets de pairs tantôt négatifs tantôt positifs au sein d’une classe hétérogène. Mais la discussion sur l’efficacité de ce type de classes doit impérativement prendre en considération le point de vue de l’enseignant. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a dernièrement fait la demande, à différents acteurs, de dresser un état des lieux de l’enseignement dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. De ces rapports, il transparaît très clairement que les enseignants se trouvent dépourvus face à l’hétérogénéité des classes. Pour les professeurs, lorsque les écarts de niveaux sont importants, la différenciation pédagogique prônée dans le Décret Mission relève de l’utopie. Et pour faire face à cette difficulté, les professeurs n’ont d’autre choix que de réhomogénéiser a posteriori les classes dès la fin du premier cycle du secondaire. Cette homogénéisation se fait par le redoublement ou par le changement d’école. C’est évidemment la pire des méthodes.



Les conséquences d’un signal négatif



Ainsi, même s’il peut en théorie exister des effets de pairs positifs pour les élèves en difficulté, en pratique ils ne peuvent s’exercer que lors du premier cycle. Par ailleurs, l’élève en difficulté devra subir les coûts psychologiques d’un changement d’école ou d’un redoublement. Cette expérience risque en fait d’influencer à très long terme les résultats scolaires de l’enfant. En effet, durant un long moment, l’enfant se trouve en difficulté dans son environnement. Or, il observe des camarades de classe qui sont à l’aise dans ce même environnement. De plus, par l’effet du redoublement ou du changement d’école, l’élève obtient un signal négatif. Tous ces éléments déclenchent et aggravent un sentiment de perte de contrôle et de confiance en soi.



Un cadeau empoisonné



Des études en psychologie sociale nous apprennent que les individus qui ont été exposés à ce manque de contrôle se découragent progressivement et réalisent de moins bonnes performances lorsqu’ils sont confrontés à une nouvelle tâche. Même si celle-ci est à leur portée, ils finissent par renoncer. Ils sont en outre plus souvent déprimés. Ce paradigme porte le nom d’impuissance apprise. Ainsi, un élève faible qui aura été confronté à un niveau hors de sa portée en début de cycle risque donc de décrocher de l’enseignement, même s’il est réintroduit dans une classe plus conforme à son niveau par après. L’hétérogénéité au sein des classes ressemble donc à un cadeau empoisonné pour les élèves. L’ironie du sort fait que les élèves en difficultés, qui auraient dû être les premiers bénéficiaires, semblent en être les grands perdants. Une fois encore on ne fait pas de bonnes politiques simplement avec des bonnes intentions.



Nous plaidons donc pour une meilleure appréciation des nécessités et faiblesses des élèves au sein des écoles dès l’entrée dans le secondaire. Avec la possibilité de créer des classes avec une méthodologie et des objectifs adaptés pour permettre aux élèves plus faibles d’accrocher à un enseignement qui serait à nouveau perçu comme accessible. Il ne faut pas décourager nos élèves. A cet égard, la vidéo du professeur Charisse Nixon de Pennsylvanie (https://www.youtube.com/watch?v=j9I95BJsINc) diffusée sur les réseaux sociaux est sans équivoque. Elle montre comment l’on parvient à démotiver des élèves en moins de cinq minutes. On peut imaginer le résultat après plus d’un an.