Vers l'aperçu

L'école face à une solidarité vieillissante

Encourager les jeunes à décrocher un diplôme, c'est bien, mais est-ce suffisant?



Depuis un mois, c’est au tour de certains jeunes de moins de 21 ans d’être exclus de l’allocation d’insertion. Les conditions d’octroi de cette allocation de chômage pour les jeunes se renforcent. Pour en bénéficier, il faut désormais être détenteur d’un diplôme de secondaire de deuxième cycle ou d’une formation en alternance. Le but annoncé est d’encourager les jeunes à décrocher un diplôme. L’intention est louable, mais on ne fait pas de bonne politique avec des bonnes intentions. Cette mesure, selon nous, manque sa cible.



Sans aucun doute, l’obtention du diplôme de secondaire de deuxième cycle augmente les chances d’obtenir un emploi. Les statistiques montrent que les personnes qui n’ont pas fini leurs études secondaires sont défavorisées sur le marché du travail. Les 25-49 ans dans ce cas ont un taux d’emploi de 57%. Ceux qui ont obtenu le diplôme, sans pour autant poursuivre d’études supérieures ensuite, ont un taux d’emploi de 81%. Notons qu’en Belgique, le taux d’emploi des peu qualifiés se situe sous la moyenne de l’Union européenne, de plus de deux points de pourcentage.



La situation s’inverse pour ceux qui obtiennent leur diplôme. Leur taux d’emploi est de 2 points de pourcentage plus élevé que la moyenne de l’Union. Au fil du temps, on note également une réduction du taux d’emploi des sous qualifiés. Il est passé de 65% à 57% en dix ans, tendance générale en Europe.



Plus d’une personne sur 5 sans diplôme du secondaire



En Belgique, le taux d’obtention du diplôme de secondaire est faible. 22% des 25-54 ans n’en possèdent pas. C’est plus d’une personne sur cinq. C’est plus que la moyenne de l’UE (21%), de la France (18%) et de l’Allemagne (13%). Exceptés certains pays qui font beaucoup moins bien (Italie, Espagne, Portugal), la Belgique est parmi les mauvais élèves européens. Notons au passage que l’Allemagne, avec un taux de non-diplômés deux fois plus faible que chez nous, a un système très performant d’enseignement en alternance.



Sur la base de ces chiffres, il apparaît indispensable de prendre des mesures visant à inciter les jeunes à terminer leurs études secondaires. Reste à savoir si la mesure de retrait des allocations d’insertion pour les non-diplômés atteindra ce but. Cette mesure s’attaque-t-elle à la racine du problème?



Pour le savoir, il faut s’interroger sur le motif principal de l’interruption des études. Trouver un travail? Si ce n’est pas pour travailler, est-ce pour obtenir des allocations d’insertion? Ou bien simplement par lassitude de l’école?



Les personnes de moins de 18 ans ne peuvent pas bénéficier, sauf exception dépendant de la structure familiale, des allocations d’insertion. Ainsi, il apparaît peu probable qu’arrêter l’école à 16 ans soit motivé par la perception d’une allocation d’insertion deux ans plus tard. Il semble que la décision de l’élève dépende davantage d’un choix de court terme. Qu’il y ait des allocations ou non ne change rien au choix de l’élève. Et la mesure manque son but. Certains soutiendront peut-être que le jeune a une vision à plus long terme. Il ne veut pas travailler et il se permet d’arrêter l’école parce qu’il sait que, plus tard, il bénéficiera d’une allocation d’insertion. C’est une hypothèse très forte quant au comportement de nos enfants. Pas convaincante, selon nous.



Le jeune peut aussi vouloir arrêter l’école pour travailler. Il en a, de manière générale, la possibilité à partir de 15 ans. Avec cette réforme, s’il quitte l’école plus tôt, ses perspectives professionnelles sont les mêmes qu’avant la réforme. Il y a cependant une différence importante: si le jeune ne bénéficie plus de l’allocation d’insertion, il ne bénéficiera plus non plus de l’aide à la recherche d’emploi associée. Et son activation sera compromise. Là encore, la mesure manque sa cible.



Raisonnement erroné



Ainsi, il faut encourager les jeunes à décrocher un diplôme, mais il faut repenser les mesures prises pour y parvenir. La réforme se base sur un raisonnement erroné concernant les racines du problème. Ce n’est pas en sanctionnant des jeunes déjà en échec scolaire, en difficultés familiales ou psychologiques, que l’on va les encourager à décrocher un diplôme. Au lieu de les forcer à rentrer dans un cadre scolaire étroit, on doit essayer d’ajuster ce cadre à leurs aspirations et attentes. Il faut agir pour rapprocher notre enseignement de nos élèves mais aussi du monde du travail comme l’Allemagne l’a si bien réussi avec son enseignement en alternance.



Un dernier point nous interpelle concernant cette réforme. Les jeunes générations risquent d’être sacrifiées pour une solidarité vieillissante qui se fait politiquement sans elle, et économiquement contre elle. Un exemple révélateur parmi beaucoup d’autres. Selon Eurostat, le chômage des jeunes (-25 ans) à Bruxelles est de 40% et pourtant, les jeunes ne représentent que 4% des réductions ONSS pour l’emploi tandis que les travailleurs âgés représentent la moitié de l’enveloppe, alors qu’ils ne représentent que 14% des demandeurs d’emploi.



Ne rien faire est le bonheur des enfants et le malheur des vieux (Victor Hugo).



Par Alexandre Simons et Jean Hindriks | Membres de l'Itinera Institute. Jean Hindriks est également professeur à l'UCL.