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L’allocation universelle n’est pas une solution miracle

La discussion sur l’allocation universelle ne cesse de revenir à l’agenda, même vidée de son universalité en étant limitée à certains groupes. Ainsi, elle est tantôt envisagée comme revenu de base pour les artistes ou les jeunes, tantôt comme mesure de relance par excellence. Il y a quelques jours, la fausse bonne idée d’un financement par nos données alimentait l’ambition d’une solution miracle. Or, ce n’est pas le cas.

Un financement par nos données permettrait de déminer un des principaux contre-arguments: le coût. Mais il introduit une contrepartie. Or, une vraie allocation universelle n’en exige pas, n’attend aucun travail ou participation sociale. Vendre individuellement nos données, c’est vendre en contrepartie une matière première du XXIe siècle. On pourrait facilement adapter la proposition pour garantir l’universalité, en taxant des données et redistribuant ces bénéfices. 

Universalité? Cela mérite en tout cas un examen plus détaillé. Et à quelle échelle? 

C’est vrai, les chiffres d’affaires des géants digitaux semblent énormes. En 2020, Facebook et Google Search avaient un chiffre d’affaires de 86 et 104 milliards de dollars. Ensemble, largement le double du PIB wallon. Toutefois, rapporté au nombre d’utilisateurs producteurs des données, cela représente 32 dollars par personne pour Facebook et 88,9 dollars pour Google… par an. Autrement dit, chaque utilisateur génère 32 dollars via FB + 88,9 dollars Google / 12 mois = 10,08 euros par mois.

Certes, la définition de l’allocation universelle ne spécifie aucun montant, et le montant exact peut changer un peu selon les sources et le calcul. Mais 10,08 euros par mois, ce n’est même pas de l’argent de poche. Et ces montants correspondent à des chiffres d’affaires, pas à des bénéfices; et ils ne tiennent pas compte du fait qu’il y a des différences énormes, avec un utilisateur américain qui vaut plusieurs utilisateurs européens, qui à son tour vaut plusieurs utilisateurs africains ou asiatiques. En plus, la vente de nos données, c’est leur modèle d’affaires. Si on fait payer les géants digitaux pour nos données, on imagine que ce modèle changera: les services «gratuits», financés par ces données, deviendront des services payants.

L’allocation universelle dans un monde robotisé?

Si on ignore le montant presque négligeable, n’est-il pas équitable de faire payer les robots et leurs propriétaires pour compensation de la destruction de l’emploi? Le vieux cauchemar d’une époque où les gens ne pourraient plus travailler à cause de la numérisation et de l’intelligence artificielle?

En effet, l’automatisation ne supprimera pas l’emploi, mais le redistribuera différemment entre les secteurs et les fonctions. Certains postes disparaîtront, mais d’autres métiers feront leur apparition, et les tâches des fonctions changeront. Nous l’avons déjà vu avec les premiers engins agricoles, lors des révolutions industrielles et numériques. Passés les grincements initiaux et les coûts d’ajustement qui peuvent être socialement et humainement douloureux, il y a de nouvelles opportunités que nous pouvons mettre à profit, moyennant l’adoption des bonnes politiques.

Automatiser est une nécessité pour augmenter la productivité

En plus, l’automatisation n’est pas une menace, mais une nécessité pour augmenter la productivité, qui stagne depuis des décennies. Le vieillissement provoque une baisse de la population en âge de travailler: il y a plus de gens qui quittent le marché du travail que de nouveaux entrants. Et les sortants vivent de plus en plus longtemps. On peut s’en réjouir, mais cela implique qu’il y a de moins en moins des personnes aptes à travailler pour de plus en plus des personnes qui comptent sur notre sécurité sociale pour leur revenu. Tout cela est connu.

Bref, notre économie et notre société ont un urgent besoin d’être remises sur les rails. Les grands chantiers politiques ne manquent donc pas. Mais on peut douter que l’allocation universelle fasse partie des chantiers