La ville, quel genre?
Le monde contemporain connaît une urbanisation rapide, qui entraîne des opportunités de développement d'échelle, mais aussi des défis, tels que les inégalités socio-économiques, l'exclusion et la ségrégation. Hommes et femmes, dans différents contextes sociaux, vivent la ville de manières différentes et sont confrontés à des défis et besoins auxquels celle-ci doit répondre.
Le rapport de l'ONU de 2016 sur les progrès des femmes déclare : « Des lois, des politiques et des programmes neutres en matière de genre peuvent involontairement perpétuer les conséquences de la discrimination passée. Ils peuvent être […] calqués sur les modes de vie masculins et […] ne pas prendre en compte des aspects du vécu des femmes qui peuvent différer de ceux des hommes ». Imaginer la ville et ses structures comme des lieux neutres où se mettent en scène des relations humaines compliquées, c'est ignorer le fait que des « hommes » ont construit ces lieux. Les villes reflètent les normes des sociétés qui les construisent. Et le sexisme est une norme profondément enracinée.
Par conséquent, nos environnements bâtis peuvent refléter des schémas de discrimination fondée sur le sexe, la classe ou la race. Les villes sont produites et consommées au sein d'une hiérarchie sociale basée sur ces différences.
Les inégalités urbaines ont des dimensions économiques, spatiales et sociales. Sur le plan économique, celles-ci sont généralement plus fortes en milieu urbain : le coefficient de Gini des inégalités de revenus est plus élevé en milieu urbain qu'en milieu rural dans 36 pays sur 42. Les femmes n'occupent que 10 % des postes les plus élevés dans les principaux cabinets d'architecture et d'urbanisme à l’échelle mondiale. Ainsi, la conception des espaces publics prend rarement en compte les femmes et les minorités.
Des inégalités « physiques »
Selon Jane Darke, géographe féministe, "nos villes sont un patriarcat écrit dans la pierre, la brique, le verre et le béton". Récemment, nombre de projets urbains ont contribué à un renforcement physique des inégalités. Les communautés fermées (gated communities) et les enclaves prolifèrent. Ils coulent les différences dans la pierre ou le béton pour des générations de nouveaux citadins affluant vers la ville à la quête d'emplois et d'opportunités. Une question clé pour les décideurs politiques est de savoir quel rôle, le cas échéant, la conception de l'environnement physique joue-t-elle dans l'exacerbation ou l'atténuation des inégalités ?
Alors que les bourgmestres et les concepteurs de nos villes sont de plus en plus diversifiés (bien que pas assez), les idéaux selon lesquels ils créent la ville sont toujours calqués sur les mêmes schémas.
S'il n'y a pas de solution unique pour réduire les inégalités urbaines, certains gouvernements ont été en mesure de s'attaquer aux aspects spatiaux, économiques et sociaux de la fracture urbaine et de promouvoir une urbanisation inclusive, y compris dans les villes à croissance rapide. L'idée de concevoir une ville qui fonctionne aussi bien pour les femmes que les hommes a commencé à Vienne. Depuis le début des années 1990, alors que personne d'autre ne parlait de l'impact sexospécifique de la conception des infrastructures, Vienne inclut la perspective de genre à une grande partie de sa planification urbaine, avec plus de 60 projets pilotes. Aujourd’hui, d'autres villes suivent son exemple, comme Berlin, Copenhague, Stockholm, etc.
Un droit à la ville universaliste
Selon Lefebvre (1968) le droit à la ville « se manifeste comme une forme supérieure de droits : le droit à la liberté, à l'individualisation dans la socialisation, à l'habitat et à l'habiter ». Il propose une appropriation des citadins de leurs conditions de vie et un contrôle des décisions qui les concernent. Ce droit n’est pas réduit au droit d'exister dans un espace public particulier ; il englobe aussi le droit d'accéder aux débats politiques et l’inclusion dans les sphères sociales et culturelles de la vie urbaine. Ce concept repose sur la reformulation radicale des structures urbaines et des relations sociales.
L’œuvre de Lefebvre nous appelle à la lutte pour une plus grande incidence dans la définition des politiques urbaines pour une meilleure démocratie. Elle nous fait réfléchir et débattre de manière récurrente à partir de différentes disciplines, forums et régions dans le monde. Urbanistes, architectes et politiciens peuvent faire la différence, si la volonté est là. Pour ce faire : écouter et employer divers groupes de citadins dans tous les domaines de la conception urbaine, la planification, l'élaboration des politiques et l'architecture, par le biais d'une recherche réfléchie et collaborative. La pandémie nous a montré que la société peut être radicalement réorganisée si nécessaire. Nous nous devons de rendre l'expérience urbaine plus inclusive, plus démocratique. Alors, corrigeons le cours, remettons en question les hypothèses obsolètes (et trop sexistes) et créons des villes qui fonctionnent pour tout le monde.