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La croissance illimitée



Récemment, le co-président d’Ecolo déclarait sur les ondes que « la croissance illimitée est un cul de sac ». Cette phrase fait partie des « évidences » partagées par tout le monde et questionnées par personne. Tous les esprits raisonnables se disent en effet que « les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel », que les ressources sont limitées, etc. Mais, si on prend la peine de se documenter et de réfléchir un peu plus, on se rend compte que ce qui paraît certain ne l’est pas nécessairement.

 

Premièrement, il y a ce constat empirique : depuis la préhistoire, la quantité de richesses produites par habitant n’a cessée d’augmenter (avec, bien entendu, des périodes et des zones de stagnation voire de régression mais, globalement, l’humanité n’a jamais été aussi nombreuse et aussi prospère). Ainsi, selon les chiffres des Nations Unies,  l’homme, il y a 7000 ans, produisait en moyenne l’équivalent de 130 $ par an ; en l’an 1000, 165 $, vers 1900, 850$ et en 2000, 8175 $. On pourrait me rétorquer que la croissance passée s’expliquant par le prodigieux essor démographique au niveau mondial, celle-ci cessera lorsque la population cessera de croître faute de ressources. Mais cette hypothèse, non dénuée de plausibilité, justifie-t-elle de rejeter d’emblée comme absurde l’hypothèse opposée que j’avance ici ?

 

Deuxièmement, quand on parle de croissance, on parle de valeur : il ne faut pas confondre la composante matérielle d’un bien et la valeur de ce bien. La matière présente sur terre est en quantité limitée mais la valeur - immatérielle et fluctuante - ne l’est pas : c’est une qualité que nous accordons par convention aux biens. Un même bien peut voir sa valeur augmenter ou chuter dans des proportions considérables.

 

Troisièmement, il faut distinguer entre la chose et sa valeur mais également entre la valeur de cette chose et la valeur des matériaux qui la composent. Celle-ci n’entre que pour une part très limitée dans la valeur de la chose. Ainsi, pour un ordinateur portable de 1000€, le coût du matériau excède rarement quelques dizaines d’euros. Le reste de la valeur procède essentiellement de la concentration extraordinaire de créativité et du savoir présidant à la réalisation d’un pareil objet mais aussi la main d’œuvre, le transport, la diffusion, le marketing, le design, la distribution, le service après-vente, etc. Si un ordinateur contenait pour 1000€ de matériaux, il serait tout sauf portable…

 

Quatrièmement, au fil du temps, l’homme crée de plus en plus de biens immatériels et ce processus s’accélère avec la société de l’information, le développement des télécommunications et la numérisation de la culture. Sous format numérique, un journal, un livre, une musique, un film, etc. peut être vendu un nombre presque infini de fois (je dis « presque » car cela consomme évidemment de l’énergie). Qu’une musique soit vendue 1 fois ou 100 millions de fois sur internet, les coûts de production sont identiques mais la valeur créée sera, dans le second cas, cent millions de fois supérieure.

 

Cinquièmement, la matière est certes limitée sur terre mais elle peut être recyclée et reste largement sous-exploitée. Les géologues estiment que, vu nos moyens technologiques encore très limités, on n’exploite même pas 0,1% des matériaux présents dans les profondeurs de la terre et de l’océan. Par ailleurs, des programmes existent déjà pour extraire, via des sondes spatiales, les matériaux de certains astéroïdes. Et l’univers est - dit-on - infini…

 

Sixièmement, la croissance est fonction des ressources énergétiques. Contrairement à ce qu’on croit généralement, ces dernières ne sont pas limitées. Pareille affirmation heurte le sens commun. Le problème, c’est que nous ne comprenons pas que les ressources ne sont pas « naturelles » mais « inventées ». Telle matière première clairement identifiée (le charbon, le pétrole, etc.) est évidemment limitée et donc épuisable. Mais qui décide qu’un matériau est une ressource ? L’homme. Comme l’écrivait Julian Simon, il est erroné de parler de ressource « naturelle »: c’est l’homme qui, dans l’infinité de la matière, identifie quelque chose qui, en soi, n’a ni sens ni usage, mais dont il estime pouvoir se servir au gré de l’évolution technologique. Ce qui importe ici, ce n’est pas la matière première en elle-même mais les services qu’elle peut nous rendre. L’histoire nous montre que l’homme trouve toujours des substituts dès que telle ou telle matière première se raréfie. Dès lors, il n’y a pas lieu de fétichiser telle ou telle d’entre elles ou de penser que le chaos succédera à sa disparition. Disparition qui d’ailleurs n’a pas lieu car, autre nuance capitale, le caractère épuisable d’une matière première n’entraîne pas ipso facto son épuisement : plus elle s’épuise, plus elle devient onéreuse, ce qui oblige les hommes à en inventer de nouvelles. On connaît la fameuse phrase du cheik Yamani, ministre du pétrole saoudien lors des crises pétrolières : « l’âge de pierre ne s’est pas achevé faute de pierres ». Il s’est achevé parce que l’homme a découvert les métaux. Au XIXème siècle, Stanley Jevons, scientifique de premier plan,  pensait avoir démontré que la croissance anglaise, tributaire du stock de charbon, ne pourrait se poursuivre indéfiniment en raison de son caractère épuisable. Il n’avait pas prévu la révolution pétrolière. Ceux qui s’alarment du pic pétrolier depuis bientôt 50 ans, n’avaient pas prévu la révolution du gaz de schiste aujourd’hui en cours. Qui peut affirmer avec certitude que le projet de fusion nucléaire est nécessairement voué à l’échec ? Qui peut prévoir les prochaines révolutions technologiques ? Etc.  L’arrogance n’est-elle pas plutôt du côté de ceux qui affirment que la croissance illimitée est impossible ?

 

La ressource ultime, la ressource de toutes les ressources, c’est, l’homme. La croissance est fonction de l’innovation technologique. Cette dernière s’accélère constamment car jamais l’humanité n’a compté un tel pourcentage de cerveaux (chercheurs, scientifiques, ingénieurs, techniciens, entrepreneurs, etc.) dans tous les continents. Nos arrières grands parents étaient incapables de concevoir le monde numérique dans lequel nous vivons. Si la croissance paraît un mythe, c’est en raison de l’incapacité dans laquelle nous sommes de concevoir le monde radicalement différent dans lequel nous vivrons dans 50 ans.

 

Ne voyons pas dans le ralentissement voire la stagnation de la croissance le signe que notre modèle serait à bout de souffle. L’endettement excessif des Etats et des collectivités territoriales, l’interventionnisme et les politiques monétaires ruineuses, soucieuses de « stimuler » ou de « relancer » la croissance pour tenter d’équilibrer le budget, sont des procédés artificiels qui provoquent des bulles génératrices de crises et de récessions. La croissance n’a besoin ni d’incantations ni d’adrénaline. Elle décolle systématiquement si on réduit les dépenses et si l’on s’abstient de fausser le marché.

 

Par ailleurs, il ne faut pas confondre croissance et développement. L’ONU mène chaque année une vaste enquête qui évalue, en fonction d’un certain nombre de critères confectionnés et affinés à partir des travaux de l’économiste libéral Amartya Sen, le « développement humain » de chaque pays (ces critères sont le taux d’alphabétisation, le niveau des soins de santé, le taux de mortalité, l’éducation, l’égalité hommes/femmes, etc.). Les deux sont corrélés mais pas identiques : ainsi, la croissance de l’Inde est inférieure à celle de la Chine mais l’Inde se développe plus vite car ce pays démocratique réinvestit chaque année une partie de sa richesse dans la santé et l’éducation. La croissance économique n’est donc pas une finalité mais un instrument de développement. Quoi qu’il en soit, prétendre que la croissance est nécessairement limitée est une erreur. Vouloir la limiter, c’est manquer de foi en l’homme, c’est entraver ou enrayer le développement, c’est interdire ainsi à une majorité d’humains d’accéder aux standards dont nous jouissons et c’est, en un mot, priver l’humanité d’accomplissements aussi grandioses qu’insoupçonnés.