Vers l'aperçu

Démêler le fait du faux dans le débat sur l'emploi

Les fortes disparités régionales du taux d'emploi ne sont pas une fatalité. On peut mieux accompagner les jeunes vers l’emploi, réduire les inégalités de genre et renforcer l’inclusion des personnes d’origine étrangère.

Les chiffres donnent une impression de rigueur et de compétence. Les politiciens l’ont compris et s’en saisissent en sélectionnant les chiffres qui les arrangent le mieux.

L’ancienne ministre wallonne de l’Emploi (PS), Christie Morreale, a ainsi récemment déclaré sur la RTBF que l’emploi était en progression sous son mandat et est maintenant en retrait. L’ex-ministre de l’Emploi a raison lorsqu’elle indique que le taux d’emploi a augmenté de 4,4% sous la législature 2019-2024, du gouvernement Di Rupo. Cette hausse est significative sur le plan statistique, notamment parce qu’elle se mesure sur une longue période.

En revanche, la baisse de 1,8 point de pourcentage du taux d’emploi entre le deuxième trimestre et le quatrième trimestre de 2024 est une trop courte période pour juger d’une tendance claire et significative. Ce qui m’interpelle dans ce débat est que l’on prend comme vérité première des données d’échantillon Statbel peu fiables [1], car non consolidées par les données administratives. Les données administratives demandent du temps pour être validées (2 ans minimum).

Un recul indispensable

J’ai récemment publié une étude qui s’appuie sur des données administratives exhaustives, fiables et géolocalisées couvrant toute la population en âge de travailler (18–64 ans) en distinguant clairement les trois catégories: emploi, chômage et inactivité.

Cette distinction est essentielle pour saisir les vases communicants entre chômage et inactivité qui sont au cœur des politiques de l’emploi et du chômage actuelles (exclusion du chômage et transfert vers le CPAS ou les maladies de longue durée, études comme alternative au chômage… ).

Jeunes en retrait, seniors en progression

On découvre ainsi que le taux de chômage des jeunes baisse, mais que leur taux d’inactivité augmente, induisant une baisse de leur taux d’emploi qui passe de 41% à 36%. On peut attribuer cette baisse de l’emploi chez les jeunes à l’allongement des études et la généralisation de l’enseignement supérieur.

Toutefois, les écarts régionaux sont interpellants, puisque seuls 23,6% des jeunes Bruxellois sont en emploi, contre 39,5% en Flandre et 30,2% en Wallonie. Cette évolution doit nous amener à déplacer le curseur des politiques de l’emploi, pour mieux cibler les jeunes et intégrer l’enseignement dans nos politiques d’emploi. En Flandre, la ministre de l’Emploi est aussi ministre de l’Enseignement.

Dans le groupe des plus de 55 ans, le chômage est en hausse, mais il s’accompagne d’une forte baisse du taux d’inactivité, et un taux d’emploi qui passe de 37% à 59% en 15 ans. Chômage et emploi peuvent donc augmenter de concert.

Hommes en retrait, femme en progression

Un autre élément surprenant de l’analyse est l’écart de genre. La progression de l’emploi depuis 2006 est portée par les femmes, qui compensent le retrait étonnant des hommes de l’emploi. Les dynamiques régionales sont contrastées: Wallonie: +11,9 % pour les femmes, -8,8 % pour les hommes. Flandre: +20,6 % chez les femmes, contre +7,9% chez les hommes [2]. Bruxelles: stagnation pour les femmes, recul de -5,8 % pour les hommes.

À Bruxelles, les femmes restent nettement plus éloignées du marché du travail, en raison de multiples obstacles, allant des compétences linguistiques à la disponibilité des structures d’accueil pour enfants. Il y a aussi la barrière des origines. Les femmes issues de l’immigration non européenne restent particulièrement éloignées de l’emploi. Pour le groupe d’âge 25-55 ans, 50% des migrantes non européennes sont hors de l’emploi, contre 13% pour les femmes belges

Ce qui est remarquable, c’est la vitesse d’intégration sur le marché du travail des femmes flamandes (y compris issues de l’immigration). Elles ont dépassé les hommes wallons avec un taux d’emploi de 71% contre 68%. C’est inédit.

Des leviers d’action pour plus de cohésion sociale

Ces constats ne sont pas une fatalité. Ils permettent au contraire de mieux cibler les leviers sur lesquels agir: accompagner les jeunes vers l’emploi, réduire les inégalités de genre, et renforcer l’inclusion des personnes d’origine étrangère. Ce sont autant d’opportunités pour améliorer collectivement le taux d’emploi et construire une société plus juste, plus dynamique et plus inclusive.

[1] L’emploi, selon Statbel, est défini de manière minimaliste sur base d’un travail durant au moins 1 heure durant une semaine de référence et sans préciser si ce travail participe ou non au financement de la Sécurité sociale (un job étudiant sera ainsi repris comme à l’emploi, tout comme un résident d’Arlon travaillant au Luxembourg).

[2] La Flandre a décidé de ne plus cibler les chômeurs de plus de 45 ans (ayant 6 mois de chômage au moins) dans les aides à l’emploi.