« La dette publique belge est hors de contrôle. Des mesures structurelles s’imposent »

Pour le professeur d’économie à l’UCLouvain et fellow chez Itinera, la dette belge, la seconde au monde, doit être maîtrisée par des outils de contrôle budgétaire, notamment – mais pas seulement – sur les dépenses de sécurité sociales. Entretien.
21News : Quel est votre sentiment global sur la dette publique belge telle qu’elle s’affiche aujourd’hui ?
Jean Hindriks : Les faits parlent d’eux-mêmes : nous présentons actuellement une dette publique par habitant de 57.000 euros, ce qui constitue un record européen. L’Italie, dont beaucoup pensent qu’elle est plus endettée que la Belgique, présente une dette de l’ordre de 50.000 euros par habitant, tout comme la France, tandis que chez nos voisins néerlandais, elle se monte à quelque 25.000 euros, même chose pour l’Allemagne. Au niveau mondial, il y a un seul pays qui nous « bat », ce sont les États-Unis, qui présentent une dette par habitant de l’ordre de 100.000 euros. Mais c’est un cas particulier, puisque ce pays a la possibilité de faire « tourner la planche à billets », de créer des dollars, ce qui leur permet de refinancer leur dette. Nous ne pouvons pas, puisque nous partageons une monnaie commune qui est l’euro. Nous n’avons donc plus cet instrument-là, et pour de bonnes raisons.
21News : Dans le cadre justement de la lutte contre un endettement excessif, pouvez-vous nous rappeler les notions clés dérivées des critères de Maastricht ?
J.H. : Les critères de Maastricht viennent d’une règle assez simple. L’idée est de maintenir le déficit public sous le seuil des 3% du PIB, donc l’écart entre les dépenses et les recettes publiques – et cela inclut les charges d’intérêt. L’idée est que si l’on se limite à 3% de déficit public et que la croissance atteint 5%, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, cela nous donne un taux d’endettement de 60% vers lequel on va converger.
Les critères de Maastricht reposent donc sur une hypothèse que la croissance nominale atteint 5% sur base annuelle. Dans la pratique, nous sommes de nos jours plus-ou-moins à la moitié de cela. Si l’on atteint, mettons 3% de croissance, nous nous retrouvons donc avec un endettement de 100% ; c’est assez simple à comprendre. Si comme aujourd’hui, notre endettement atteint 6% du PIB et la croissance 2%, cela nous donne un taux d’endettement de 300% qui est tout bonnement intenable. Il est donc urgent de prendre des mesures pour résorber le déficit.
« Les dépenses de sécurité sociale représentent la moitié des dépenses publiques »
21News : Dans quelle mesure la Commission européenne est-elle souple par rapport à ce déficit, car personne ne le respecte, dans la pratique ?
J.H. : Non, personne ne respecte ces critères, en effet. Mais la Commission européenne, dans le cadre du nouveau pacte fiscal, nous donne une flexibilité de 5 à 7 ans pour revenir à une trajectoire raisonnable. Aujourd’hui, nous avons une trajectoire « explosive » ; la Belgique notamment. Même si à court terme, nous n’allons jamais arriver à 60% de taux d’endettement. Mais la Commission demande aux pays membres – dont la Belgique – d’adopter des réformes structurelles qui pourraient participer à contrôler puis à améliorer la situation en termes de dette publique.
Dans la pratique, nous avons en Belgique un dérapage très clair dans les dépenses de sécurité sociale et en particulier dans les dépenses de pension, puisqu’elles augmentent beaucoup plus rapidement que les cotisations de sécurité sociale et l’écart est comblé par une ponction sur le budget de l’État, qui consiste notamment en un prélèvement sur les recettes de TVA et d’autres recettes fiscales. C’est donc le contribuable qui comble le trou de la sécurité sociale.
Mais aujourd’hui, comme il est difficile d’équilibrer le budget, nous nous endettons. Donc, pour résumer, nous finançons la sécurité sociale par de la dette. La boucle est bouclée. Les dépenses de sécurité sociale représentent aujourd’hui la moitié des dépenses publiques. Il est très difficile de faire baisser ces dépenses, notamment car des engagements sont pris ; nous pouvons donc essayer de les maîtriser.
21News : Quelles genres de politiques ont pu mener à cette explosion de la dette, et, à l’inverse, quel genre de politiques pourraient permettent de parvenir à maîtriser cette situation ?
J.H. : Commençons par les États-Unis, même s’il s’agit là de mesures que l’on ne peut pas prendre chez nous. On peut commencer par répudier la dette. Donald Trump disait déjà en 2016, « je suis le « roi » de la dette, nous allons dire à nos créanciers qu’on ne peut pas tout rembourser et donc on va renégocier la dette ».
Au niveau belge, nous n’avons évidemment pas le même pouvoir de négociation, notamment vis-à-vis des créanciers étrangers. Second point, nous pouvons « refinancer par l’inflation », et cela risque d’être le cas très prochainement, notamment avec les prix de l’énergie qui remontent. Cela revient à pratiquer la politique du « saut d’index », – un gel de l’indexation des prestations sociales, qui n’est certes pas très populaire. Nous avons dû le faire en 2015 et je pense que le gouvernement Arizona devra le faire aussi.
Troisième élément, nous pouvons tenter de relancer l’économie, et donc la croissance, dans le cadre du « Plan Draghi ». Pour cela, il nous faut un plan de compétitivité, il nous faut investir intelligemment pour relancer l’économie. Si l’on crée des emplois, la base fiscale s’élargit et les recettes de l’État aussi. Pour cela il faut des plans d’investissement, mais à court terme, ceux-ci coûtent plus qu’ils ne rapportent. Il faudrait donc – pourquoi pas ? – un plan d’endettement commun au niveau européen qui consisterait à réinjecter de l’argent pour relancer l’économie, l’innovation, la transition énergétique. Mais tout les pays n’y adhèrent pas…
« Au niveau administratif, il y a moyen de réduire les dépenses tout en restant aussi efficace »
Quatrième point, il revient à l’Europe – et donc à la Belgique –, de réduire les écarts de prix avec les États-Unis en ce qui concerne l’énergie. Aujourd’hui, nous payons notre énergie 30% plus cher que ce dernier. Cet élément est complètement destructeur de notre industrie et constitue une urgence absolue.
Cinquième point, nous pouvons réduire les déficits par des mesures d’économies « intelligentes », qui ne constituent pas nécessairement à rationner mais davantage à rationaliser. On a énormément de dépenses publiques qui appellent justement à la rationalisation, notamment au niveau de l’administration : il y a moyen de réduire les dépenses tout en restant aussi efficaces.
Je pense notamment à la simplification administrative, à la fusion des communes, à l’intégration des CPAS dans les communes. On a affaire à une « multiplicité de couches » et d’administrations, qui s’agit de regrouper. Parfois c’est symbolique, parfois cela l’est moins. Même si des mesures ont déjà été prises, il s’agit de les poursuivre, parce que – soyons très clairs – on a quand même en Belgique un taux d’endettement qui est très élevé mais en même temps une pression fiscale qui est parmi les plus élevées. C’est une situation qui « ne fait pas sens ».
Maxence Dozin