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Elections 2014 - Education: Ramenons la qualité au centre de la mission de l’enseignement supérieur

L’attraction des étudiants et la bureaucratisation de l’enseignement supérieur dominent. La course aux publications pèse sur les professeurs au risque de baisser la qualité des recherches. Chargés de cours et professeurs deviennent les instruments pour générer et administrer des budgets. Le niveau des étudiants est en partie problématique et la qualité des diplômes délivrés est menacée. Nous proposons dès lors de restaurer la qualité : dans le financement des institutions, dans les responsabilités des profs et dans l’accès et le parcours des étudiants. Il n’est pas impossible de combiner quantité avec qualité, mais ce dernier est devenu la victime du premier.

Un diagnostic interpellant

La course aux étudiants et la bureaucratisation dominent

77% des universitaires admettent que la profession académique dans leur université connaît une bureaucratisation et une standardisation croissantes. 70% trouvent que l’accroissement de la simple part de marché de leur université/faculté occupe une place toujours plus importante. La dynamique dominante de l’organisation universitaire est perçue comme une dynamique de croissance du volume, plutôt que d’excellence, encadrée par toujours plus de règles et un contrôle plus centralisé.

La quantité supplante la qualité

88% des répondants confirment que l’évaluation des professeurs/chargés de cours et le financement partiel des universités sur base des publications suscitent surtout une offre en quantité alors qu’il reste moins de temps et d’espace pour de la recherche réellement innovante et qualitative qui requiert une plus longue préparation. C’est là une constatation alarmante. D’un point de vue sociétal et économique, seule compte la capacité de nos universités à produire une recherche véritablement innovante. Et cette capacité souffre de la contrainte explicite de publier vite et beaucoup.

Les professeurs doivent rapporter de l’argent

93% de tous les répondants déclarent que les professeurs doivent faire face à une pression grandissante qui les pousse à générer eux-mêmes des moyens, par exemple en encadrant plus de doctorats ou en décrochant plus de projets financés en externe. C’est une évolution très inquiétante. Elle illustre le sous-financement des universités. Elle prouve qu’il existe une distorsion des tâches dans l’organisation de nos universités et hautes écoles. Professeurs et chargés de cours deviennent des instruments pour générer et administrer le budget, alors qu’ils devraient avant tout pouvoir se concentrer sur travail académique et scientifique avec le budget qu’on met à leur disposition.

Trop de docteurs : nivellement et gaspillage

57% des universitaires flamands déclarent que la qualité des doctorats diminue sous la contrainte de publication. Ce chiffre monte à 64% pour le groupe des sciences biomédicales (médecins, pharmaciens, vétérinaires, etc.). Deux tiers de tous les universitaires de plus de 35 ans – ceux qui peuvent le plus facilement comparer avec la situation passée – estiment que la qualité moyenne des doctorats en en baisse.

De plus, le nombre de doctorats délivrés avec succès augmente plus vite que le nombre de postes enseignants disponibles. Il y a un énorme gaspillage de talents : les jeunes docteurs doivent se trouver des activités dans les projets de recherche post-doctorale, ou terminent tout simplement sur le marché de l’emploi dans des postes où ils ne peuvent pas valoriser leurs recherches et compétences acquises.

Tous à l’université ? Un appel à l’aide pour plus d’orientation

74% des universitaires qui donnent cours régulièrement en Belgique observent un recul de la qualité des étudiants qui démarrent leurs études, celle-ci étant mesurée en fonction des compétences de base nécessaires à la formation académique que ces chargés de cours dispensent. C’est une constatation alarmante sur le niveau réel des étudiants qui arrivent dans nos universités.

La valeur du diplôme universitaire

Dans les universités belges, plus d’un professeur sur dix estiment que moins de la moitié des étudiants effectivement diplômés méritent en fait leur diplôme.

En communauté flamande, 72% s’inquiètent du degré élevé de la flexibilisation du programme d’études. Cette flexibilité rend l’accès à un diplôme universitaire encore plus aisé. L’accent mis sur les taux de réussite influence aussi la façon de coter des professeurs : plus d’un professeur sur quatre admet qu’il relève à 10/20 les cotes de 9/20 afin de maintenir les chiffres de réussite suffisamment élevés et/ou d’éviter les contestations après examens.

Besoin d’une réforme structurelle

L’enseignement supérieur a connu ces dernières années de profonds remaniements : réformes des curricula pour des raisons d’harmonisation internationale (la fameuse réforme de Bologne), fusion et économie d’échelle avec l’intégration des hautes écoles dans les universités (en Flandre), augmentation considérable de la population estudiantine, etc. Le principal constat au vu des réponses formulées par les experts de terrain que sont les professeurs et les chargés de cours, est qu’il existe une grande unanimité quant au diagnostic.

Au niveau de l’enseignement, de la recherche, des projets et des doctorats, la balance pèse désormais beaucoup trop du côté de la quantité de diplômes délivrés, aux dépens de la qualité intrinsèque qui caractérise traditionnellement le travail universitaire libre. Les pouvoirs politiques et les directions universitaires ont accompagné l’ensemble d’une standardisation, d’un nivellement et d’une bureaucratisation, reléguant le personnel universitaire dans un rôle d’instrument de production de masse de diplômes et de recherches. L’espace nécessaire à un travail fondamental et novateur a été réduit au strict minimum. Le niveau des étudiants est pour partie problématique, et la qualité des diplômes délivrés est mise en péril.

Ces conclusions ne plairont probablement pas aux experts et autres bureaucrates en charge de l’enseignement. Un grand nombre des réformes adoptées s’inscrivaient fortement dans la logique d’une démocratisation de l’enseignement supérieur. À ce niveau, les évolutions en Belgique ne sont pas sensiblement différentes de celles que connaissent les autres pays européens. Même si nous avons le taux de participation à l ‘enseignement supérieur des 18-25ans le plus élevé d’Europe (40% contre 30 dans l’EU27). Mais quels que puissent être les avantages d’une telle évolution, la présente enquête a très clairement permis de faire ressortir son désavantage : la pression sur la qualité.

Tant au niveau politique plus large qu’au niveau des directions d’universités, de facultés et de hautes écoles, il convient d’entamer une réflexion fondamentale sur des mesures structurelles qui, sans remettre en question l’inestimable démocratisation de l’enseignement supérieur, doivent replacer la qualité au centre de la mission des universités. Il est plus que jamais essentiel dans ce contexte de laisser de la place à l’expression individuelle et personnelle, qui a toujours constitué le fondement et la grande valeur du biotope universitaire, accablé aujourd’hui par un grand nombre de règles et de normes uniformes et bureaucratiques. L’avenir du métier universitaire est en jeu. Compte tenu de la tension entre qualité et quantité, il importe de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin dans la démocratisation.

Recommandations pour restaurer et garantir la qualité

Concrètement, les recommandations suivantes peuvent être intégrées dans la réflexion :

  • Évaluer le personnel universitaire sur plusieurs dimensions, au sein desquelles la qualité de l’enseignement, l’originalité de la recherche, le profilage international et l’engagement sociétal reçoivent plus de poids. Ce n’est pas vraiment la mesure ni la classification des publications qui pose problème, car ces critères sont bel et bien nécessaires. Le problème se situe principalement dans le réalignement de la valeur scientifique sur ces critères, car il empêche l’université d’encore promouvoir la diversité intellectuelle et sociétale.
  • L’accent mis sur les flux entrants et sortants d’étudiants, les doctorats et les publications doit être nuancé. La qualité de l’enseignement et de la recherche doit être plus replacée au centre du débat et valorisée. Le modèle de financement, aujourd’hui trop axé sur la quantité, doit plus intégrer la qualité.
  • Le financement de l’enseignement supérieur a exacerbé une concurrence stérile entre les (groupes de recherche des) différentes universités. Il faut des incitants supplémentaires pour encourager la collaboration interuniversitaire (y compris entre les deux communautés).
  • Les pouvoirs publics doivent consacrer plus d’attention à l’analyse régulière, indépendante et impartiale des effets potentiels du cadre de financement de l’enseignement universitaire et de la valeur économique et sociétale des recherches effectuées et de l’enseignement prodigué. Mesurer c’est savoir.
  • Il convient de développer de bons instruments de mesure permettant d’évaluer non seulement la qualité de recherche du Personnel Académique (PA), mais aussi la qualité de l’enseignement lui-même et d’éléments tels que l’internationalisation, l’accessibilité et la pertinence sociétale.
  • Une démocratisation trop poussée de l’enseignement induit un trop grand afflux d’étudiants moins bons et moins motivés dans l’enseignement supérieur. Une sélection à l’entrée doit permettre de mieux prendre en compte les compétences, centres d’intérêt et motivations des étudiants au niveau du choix et de l’entrée dans l’éventail des formations proposées par les universités ou les hautes écoles. Tous les élèves du secondaire n’arrivent pas avec le même bagage à l’entrée de l’enseignement supérieur. En reconnaissant cette différence, les tests vont permettre de travailler en amont, de modifier les stratégies d’enseignement secondaire et, connaissant le contenu des tests, de mieux préparer à certaines disciplines. 80 % d’échec dans une 1re année du supérieur pointent surtout un échec de l’enseignement secondaire de transition. Réfléchissons sans tabou pour arrêter ce carnage. On ne peut pas baisser le niveau d’exigence dans le supérieur pour permettre à tout le monde d’y accéder. Et on ne peut pas maintenir notre enseignement supérieur comme lieu privilégié d’apprentissage de l’échec.
  • Si les pouvoirs publics ne disposent pas de moyens suffisants, une solution peut être d’augmenter le minerval des étudiants, pour autant que le mécanisme ne crée pas un obstacle à l’accès à l’enseignement universitaire pour les étudiants à faible revenu (par ex. combiner l’augmentation du minerval à un système de prêt social). L’échec massif en première année d’université (80% dans certaines disciplines) est un obstacle plus dissuasif que le minerval pour les élèves issus de milieux pauvres. Ceux qui souhaitent vraiment encourager la mixité sociale dans nos universités devraient s’attaquer en priorité à l’échec scolaire plutôt que d’invoquer la gratuité. Des formules possibles qui combiner financement et accessibilité sont bien connues, grâce aux multiples expériences à l’étranger. Nous pouvons, par exemple, augmenter le minerval tout et reportant son paiement après l’obtention par le diplômé d’un emploi, par ailleurs en augmentant les bourses pour les étudiants les moins favorisés. "En Grande-Bretagne, l'introduction simultanée d'un minerval plus élevé et des bourses à destination des étudiants défavorisés a fait substantiellement augmenter la participation des jeunes provenant de familles pauvres, sans pour autant affecter le taux de participation global".[1]