Vers l'aperçu

Cette vision stratégique qui nous fait tant défaut

En politique, face aux crises, il y a une place pour l'improvisation et l'action rapide. Mais, il doit aussi y avoir une place pour mettre en œuvre une vision stratégique et des politiques de sécurité afin de mieux anticiper les difficultés.

De nombreux systèmes se caractérisent par une longue période de stagnation, qui n'est interrompue que par des changements soudains conduisant à un changement radical. Ce processus est l'une des raisons pour lesquelles les prédictions sont souvent erronées . En cause, l'orgueil démesuré de l'homme . L'arrogance des banquiers centraux constitue à cet égard un spectacle fascinant vu la manière dont ils sous-estiment l'inflation et affichent une foi aveugle dans des modèles douteux. Plus grave encore, ils ont mené des politiques qui n'ont fait qu'accroître les fragilités de notre système économique

Aujourd'hui, qu'il s'agisse des pratiques folles sur les marchés des changes ou de la propagande électorale des partis au pouvoir, des niveaux critiques sont atteints . Or, nous y restons largement aveugles.

En politique, il y a une place pour l'improvisation et l'action rapide. Mais, il y a aussi une place pour une vision stratégique et des politiques de sécurité qui garantissent qu'un pays puisse anticiper les difficultés. À cet égard, c'est un euphémisme de dire que notre pays recèle encore un potentiel d'amélioration... L'Union européenne accuse, de son côté aussi, de graves lacunes comme on a pu l'observer face au dérapage des prix du gaz. Dès l'été 2021, il était question de manipulations du marché par le géant gazier russe Gazprom. Mais à l'époque, on ne s'en souciait guère.

Position défensive

Il est fort probable que l'Union européenne connaîtra davantage d' agitation sociale. Le glissement de terrain politique auquel on a assisté en Italie ne sera vraisemblablement pas le dernier.

Pour autant, les décideurs politiques continuent d'adopter quasi systématiquement une position défensive en affirmant que revenir sur le passé est un discours facile, que les analyses rétrospectives ne mènent nulle part, et qu'il faut agir.

Bien sûr que des mesures doivent être prises en temps de crise. Mais, il est tout aussi essentiel que nous puissions zoomer sur les dysfonctionnements qui nous ont empêchés d'être mieux armés pour faire face à la crise, l'anticiper ou même l'éviter.

La vraie question est, en réalité, de savoir si nous sommes capables de développer une vision stratégique et des politiques solides pour faire face aux risques. Dans de multiples domaines, nous disposons désormais de "plans de préparation" . Mais il faudra chercher très attentivement pour trouver trace d'une analyse des risques. Pour le dire autrement, nous souffrons aujourd'hui de nombreux angles morts.

La première règle en matière de gestion des risques est de ne pas aller trop loin dans l'"optimisation" du système , et de prévoir suffisamment de mécanismes de remplacement et de solution de repli. La diversification géographique des canaux d'approvisionnement et des sources d'énergie (combustibles fossiles, mais aussi uranium ou biomasse) est l'un des moyens de contrer le risque et l'incertitude. L'autosuffisance en est le meilleur exemple ou à tout le moins la constitution de réserves stratégiques. Quels sont les coûts et les avantages des différentes options? Quelle "prime d'assurance" sommes-nous prêts à payer pour couvrir les risques les plus graves ou les plus urgents?

La sévérité de la crise prouve que le système peine à anticiper, à résister et encore moins à prévenir. Plaider pour une capacité à agir plus rapidement en cas de crise est une évidence, mais ne suffit pas. Prévenir les risques sera toujours plus efficace que de remédier à la crise. L'essentiel consiste à élaborer une politique de sécurité. Deux pièges jalonnent ce parcours.

Le premier est le piège de ne pas adopter une perspective suffisamment large dans le cadre de l'analyse des risques. Se concentrer uniquement sur la sécurité technique de l'approvisionnement, mais ne pas voir le risque d'une explosion des prix compte tenu des perturbations qu'elle entraînerait, par exemple. Une dimension importante à cet égard est l'interdisciplinarité et la concertation avec un groupe suffisamment large capable d'offrir des perspectives différentes.

Le deuxième écueil est que, trop souvent, l'élaboration d'une politique de sécurité reste un simple exercice sur papier . À comparer — hélas — avec la "préparation" militaire, qui n'a de valeur réelle que si elle s'accompagne d'exercices réels et réalistes sur le terrain. Un simple processus officiel qui aboutit à une liste de contrôle ne suffit pas . Ceux qui se préparent efficacement aux risques n'hésitent pas à agir et à constituer des stocks à temps, par exemple.

Dans le domaine de l'énergie, il a été démontré une fois de plus à quel point les gens détournent rapidement le regard des coûts liés à notre dépendance et des risques à long terme. L'analyse coûts-avantages de ceux qui paient cette "prime d'assurance" in extremis, lorsque la maison est (presque) en feu, n'est guère réjouissante.