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7 principes généraux pour une réforme des pensions

En vue de concilier au mieux les grandes valeurs de la solidarité, l’équité, la responsabilité et la crédibilité, et face aux défis majeurs posés par le vieillissement, les incertitudes économiques, la digitalisation croissante, les mutations du marché du travail, les transformations sociales et les risques financiers et sociétaux, une réforme des pensions devrait s’appuyer sur les principes suivants selon fellow Jean Hindriks et son collègue à l'UCL Pierre Devolder :    

 

1. Une réforme cohérente sur le long terme et porteuse de sens, assurant la pérennité d’un premier pilier fortet rassurant la population

Au-delà de la succession de réformes ponctuelles qui ont marqué, depuis des décennies, l’évolution de nos systèmes de pension légale, il convient de redonner du sens et de la cohérence, en se fixant au préalable un cadre global basé sur une vision et des objectifs crédibles de long terme.

Des engagement clairs et crédibles doivent remplacer les promesses creuses. Selon une enquête nationale des pensions réalisée par NN en 2019, 56% des Belges (et 67 % des belges de moins de 35 ans) ne comptent pas sur une pension légale versée par les autorités.

La crédibilité est au centre du système d’une pension par répartition qui fonctionne comme une chaîne de transfert entre générations, chaque génération contribuant pour la pension de la génération précédente. Si les jeunes se détournent de la répartition, ceci mettra en péril le financement des pensions légales en cours et la chaîne de transferts s’effondre.

Des engagements crédibles impliquent des règles de financement crédibles et des garanties solides. Les mesures ponctuelles à court et moyen termes pourront ensuite être progressivement déclinées en fonction de ce cadre à long terme. Cette cohérence devra également viser le volet fiscal des pensions.

 

2. Une réforme négociée ouvrant la voie à un nouveau contrat social adapté au monde de demain

L’ampleur de la réforme envisagée nécessite une approche concertée avec les partenaires sociaux en prenant le temps de l’explication et de la discussion, mais en tenant compte simultanément des intérêts des générations futures et en se fixant un agenda concret.

Il faut rompre avec la léthargie des uns et la nostalgie des autres en matière de concertation sociale. La réussite de cette réforme passe par une communication claire du nouveau contrat social proposé. La mise en place complète de pareille réforme requiert du temps en vue d’un consensus social aussi large que possible. L’urgence posée par les défis du vieillissement nous oblige donc à commencer sans tarder ce processus, sous peine de devoir prendre ultérieurement des mesures beaucoup plus brutales.     

 

3. Une réforme équilibrée visant simultanément la soutenabilité financière et l’adéquation sociale  

Les techniques de répartition et de capitalisation sont complémentaires dans le financement des retraites et leur cohabitation permet un bon partage des risques entre le risque démographique pour la répartition et le risque financier pour la capitalisation.  La répartition doit de ce fait rester la pierre angulaire de nos premiers piliers de pension, à côté de deuxièmes piliers, gérés eux en capitalisation et dont l’élargissement doit être envisagé dans un cadre structuré et organisé.

La répartition est basée sur une solidarité entre les générations et le partage des risques entre elles. Dans ce contexte, toute réforme juste doit simultanément veiller à la soutenabilité financière (niveau des cotisations et importance du financement alternatif) et à l’adéquation sociale (niveau des prestations). Cela suppose un partage équilibré des coûts du vieillissement entre générations, conduisant à des mécanismes d’adaptation progressifs basés sur des indicateurs objectifs (adaptation jointe sur base de règles transparentes des durées de carrière de référence, des taux de cotisation, du degré de financement alternatif et des niveaux de prestations).

Toute proposition de réforme devrait dans ce cadre faire l’objet de simulations à moyen et long termes en termes de conséquences tant budgétaires que sociales et intégrant une dimension de risque (éventail de scénarios démographiques et économiques). Les ajustements sont progressifs pour laisser aux affiliés le temps de s’adapter.  
 

4. Une réforme s’appuyant sur les réalités du marché du travail d’aujourd’hui et demain

Le marché du travail d’aujourd’hui n’est plus celui qui existait au moment où nos régimes actuels de sécurité sociale ont été mis en place et il en sera encore plus éloigné demain. En particulier, de plus en plus de travailleurs ont des parcours variés, des carrières fragmentées et sous différents statuts (salarié, indépendant, fonctionnaire).

La notion de carrière varie d’un régime à l’autre. Cette notion de carrière devient elle-même difficile à mesurer compte tenu des nouvelles formes de travail. Les règles spécifiques à différents secteurs d’activité ou différents régimes de pension sont des freins aux réorientations professionnelles parfois indispensables. 

Dans ce contexte, un rapprochement des règles des différents régimes s’impose et des différences ne devraient subsister que sur la base de réalités objectives et non pas d’héritages du passé.   Ces comparaisons doivent tenir compte de l’ensemble des pensions professionnelles (1° et 2° piliers) et des avantages de toute nature variables d’un statut à l’autre et modifiant les capacités d’épargne. 

 

5. Une réforme tenant compte des inégalités d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé   

Nous ne sommes pas tous égaux devant les gains d’espérance de vie. Selon les conditions socio-économiques l’on peut espérer vivre plus ou moins longtemps. Un régime de pension de sécurité sociale doit, dans son esprit de solidarité, en tenir compte sous peine de devenir anti-redistributif.

La solidarité vis-à-vis des plus faibles n’empêche pas de viser aussi à l’équité individuelle et à la juste récompense du travail, qui sont tout autant des principes à la base de nos régimes de pension (dimension assurance).  L’équité nous invite également, non pas à tout uniformiser, mais à n’accepter des différences de traitement qu’objectivement justifiées. 

Si un allongement des durées de carrière apparaît globalement inéluctable, pour être acceptable socialement, il doit pouvoir être modulé en fonction de l’hétérogénéité des espérances de vie et des espérances de vie en bonne santé. Dans ce contexte, la définition d’une norme de durée de carrière plutôt que d’un âge uniforme de retraite apparaît plus approprié, permettant ainsi aux moins qualifiés qui démarrent plus tôt leur carrière de décrocher plus tôt.

Par ailleurs, des mesures résiduelles doivent concerner les professions tout particulièrement pénibles, de préférence sous la forme de bonus pension et en permettant à ces travailleurs de se réorienter vers des métiers/fonctions moins pénibles en fin de carrière (cfr. la suppression du travail de nuit pour les infirmières au-delà d’un certain âge).     

 

6. Une réforme combinant la liberté individuelle et la solidarité collective

Nos régimes de pension ne sont pas basés sur une philosophie de pension de base uniforme pour tous mais lient la pension aux revenus d’activité de chacun et à sa carrière, dans une mesure plus ou moins importante. En vue notamment de renforcer la légitimation de notre premier pilier de pension, il convient sans doute d’encore renforcer le lien entre durée effective de carrière et prestations. Cette liaison n’est pas contradictoire avec le fait de prévoir des mécanismes d’assimilation de périodes d’interruption de carrière ou de chômage.

Le système doit aussi reconnaître la diversité des individus face au désir de partir plus tôt ou plus tard à la retraite ou même de partir partiellement à la retraite durant une certaine période avec une réversibilité possible.   Cette souplesse de fin de carrière, en lien avec l’évolution du marché du travail, doit néanmoins s’accompagner d’une responsabilisation des affiliés et ne peut, dans un souci d’équité, se concevoir que moyennant l’instauration de mécanismes de corrections actuarielles (au moins partielles).    

Nous ne sommes pas tous pareils et les systèmes collectifs doivent veiller lorsque c’est possible à offrir une flexibilisation adéquate. Mais cette flexibilité, qui concerne par exemple en pension le choix individuel du départ en retraite, doit s’accompagner d’une responsabilisation financière de l’individu.   

 

7. Une réforme prenant en considération l’évolution de la vie familiale 

Depuis la mise en place de nos régimes actuels de sécurité sociale, les structures familiales et la place de chacun dans le monde du travail ont profondément évolué.  Au paradigme ancien de la cellule familiale stable à revenu unique à laquelle une pension «de ménage » était octroyée, s’est substitué une situation où chacun a sa carrière professionnelle et dès lors sa pension. Toute réforme future doit prendre en compte cette évolution et réfléchir au sort des droits dérivés et à de nouvelles règles d’attribution des revenus de pension. Une mutualisation partielle et sur base volontaire des pensions entre conjoints ou cohabitants légaux doit pouvoir être envisagée comme forme de solidarité au sein du ménage.